Dans un entretien diffusé le 12 janvier sur le podcast The Art World : What If… ? !, créé par le critique d’art Allan Schwartzman et la journaliste Charlotte Burns, Glenn Lowry, directeur du Museum of Modern Art (MoMA) de New York depuis 1995, vient d’exprimer son point de vue sur le paysage politique et culturel de l’après-Covid, abordant des thèmes tels que le rôle des musées, le droit à l’avortement en Amérique et la question de savoir si « la démocratie survivra à la prochaine décennie ».
Sommes-nous face à un « moment inflammable », lui demande Charlotte Burns. « Un certain nombre de questions qui étaient complexes sont devenues toxiques, répond Glenn Lowry. Nous venons d’endurer deux années d’une pandémie qui a creusé encore davantage les inégalités sociales et financières. Nous savons maintenant que notre monde, tel que nous pensions le comprendre, est beaucoup plus fragile… Des guerres qui semblaient inconcevables se sont produites, nous avons vécu une prise de conscience raciale et un remaniement social vraiment radicaux sur les questions de la race et de l’équité dans ce pays [les États-Unis], qui sont profonds. »
« Tous ces changements ont bien sûr un impact sur nos institutions de manière profonde, poursuit-il. Ce qui m’inquiète, c’est de savoir si la démocratie elle-même survivra à la prochaine décennie, car il me semble que, parmi toutes les forces en jeu, l’intolérance à l’égard des opinions d’autrui présage d’une situation dans laquelle nous perdrons toute capacité à surmonter nos différences. »
Pour Charlotte Burns, les musées des États-Unis sont généralement des « institutions à l’esprit citoyen » reposant sur des questions sociétales clés. Mais comment les musées peuvent-ils inciter à une réflexion plus poussée ? Selon Glenn Lowry, « si nous pouvons créer un espace où l’art lui-même est au centre du débat, avec toutes les questions contradictoires et complexes qu’il soulève, alors nous continuerons à progresser. Je crois fermement que les musées ne doivent pas être des lieux qui apportent des réponses, mais qui suscitent des questions… Je pense qu’il s’agit de notre rôle, surtout dans ce moment de complexité. »
Le public du MoMA a changé à la suite de la crise sanitaire due au Covid-19, soulignant que le musée réalise régulièrement des enquêtes auprès de ses visiteurs, qui indiquent leur code postal et leur pays. « Nous sommes bien sûr moins précis sur les questions socio-économiques plus complexes qui ne peuvent provenir que des enquêtes régulières auprès du public [menées deux fois par an] », explique Glenn Lowry. Depuis la réouverture du MoMA fin août 2020, la fréquentation représente de 75 ou 80 % de ce qu’elle était avant la pandémie, ajoute-t-il. « Notre chiffre de référence était d’environ trois millions de visiteurs. L’année de la pandémie, [leur nombre] a baissé à environ 650 000. Nous espérons que cette année, nous serons très proches de la fréquentation d’avant la pandémie. »
Glenn Lowry considère que la prise en compte de différents points de vue politiques est essentielle à la santé de la démocratie. « La joie de vivre consiste à découvrir de nouvelles possibilités ; certains de ces moments inquiétants où les gens ont l’impression… que le mouvement "woke" a pris le contrôle de l’Amérique, diminuent en intensité parce qu’il ne s’agit pas d’être "woke", il s’agit de faire ce qui est juste, de comprendre les moyens par lesquels vous composez avec cela, comment vous pouvez aider à rendre ce pays meilleur. »
Glenn Lowry va jusqu’à dire qu’il est « un démocrate libéral autodéclaré, trouvant certaines des pensées de la droite dure vraiment effrayantes, mais prêt à s’engager. Prenez l’avortement : il est inconcevable pour moi que nous soyons encore dans un pays où vous pouvez avoir une cour suprême qui annule l’arrêt Roe vs Wade [en juin 2022]. C’est tout simplement inconcevable… Nous devons reconnaître que si vous êtes favorable au droit à l’avortement, il n’y a pas de principe divin, il est le fruit d’un dur combat et il s’avère que dans ce pays, il est constamment attaqué… Il faut se confronter à la réalité. »
Charlotte Burns souligne également que New York est au bord d’un énorme bouleversement, avec de nombreux changements à la tête des institutions – Richard Armstrong va quitter par exemple cette année la direction de la Fondation Solomon R. Guggenheim – et dans les galeries. « Si les cinq prochaines années sont marquées par des changements significatifs à la direction des musées, cela signifiera simplement qu’il y aura de nouvelles visions et de nouvelles idées qui propulseront ces institutions vers le futur », analyse Glenn Lowry. En 2018, le New York Times avait indiqué que lui-même devrait rester à son poste jusqu’en 2025.
« Paris est un exemple de ce qui peut arriver lorsque plusieurs nouveaux directeurs sont nommés [citant Laurent Le Bon à la présidence du Centre Pompidou et Laurence des Cars, la nouvelle présidente-directrice du musée du Louvre]. C’est vraiment phénoménal – une nouvelle génération apportant un nouveau leadership mais pas nécessairement un changement radical dans les institutions dans un premier temps. Si cela se produit à New York, en quoi cela serait-il intéressant ? » Il souligne également que la plupart des grands musées américains sont dotés de conseils d’administration – « ces conseils ne changent pas aussi souvent et aussi radicalement que la direction », conclut-il.