Un tableau monumental d’Edvard Munch, qui avait échappé aux nazis, caché dans une grange isolée au fin fond de la forêt norvégienne avec une version du Cri, devrait atteindre entre 15 et 25 millions d’euros lorsqu’il passera sous le marteau chez Sotheby’s à Londres, le 1er mars.
Le produit de la vente sera partagé avec les membres de la famille de Curt Glaser, un éminent critique d’art et collectionneur allemand qui a été contraint à vendre l’œuvre à Berlin en 1934 alors qu’il fuyait les nazis. Quelques mois plus tard, Thomas Olsen, un armateur norvégien et voisin de Munch, a acheté cette peinture, intitulée Danse sur la plage, alors qu’elle était proposée aux enchères à Oslo en même temps que d’autres œuvres de Munch. Glaser et Olsen avaient tous deux été des amis et des mécènes de l’artiste, ce dernier avait d’ailleurs peint des portraits de leurs épouses respectives.
Mesurant quatre mètres de long, Danse sur la plage faisait partie d’une frise de 12 panneaux commandée en 1906 par Max Reinhardt, un directeur de théâtre berlinois. La salle située à l’étage avait une forme circulaire et la frise devait y entourer le public. Décrivant des « images de la psyché moderne », selon les termes d’Edvard Munch, la composition du panneau de Sotheby’s met en scène des personnages en train de danser, avec, au premier plan, deux des plus grands amours de l’artiste – Tulla Larsen et Milly Thaulow, mariée en premières noces avec le frère du peintre norvégien Frits Thaulow. Ces deux idylles se sont terminées par une tragédie et un chagrin d’amour.
Ce n’est pas la première fois que Sotheby’s propose des œuvres de Munch qui appartenaient autrefois à Curt Glaser et que ce dernier avait été contraint à vendre, avant d’être rachetées par la suite par Thomas Olsen. En 2021, la maison de ventes aux enchères a vendu une autre frise au titre proche, Embrassade sur la plage, pour 16,2 millions de livres sterling (avec les frais) lors d’une vente généraliste à Londres, aux côtés d’un autoportrait de l’artiste parti pour 4,3 millions de livres sterling (avec les frais). Ces deux œuvres étaient cachées dans la même grange que Danse sur la plage.
Curt Glaser était le directeur de la bibliothèque d’art d’État de Berlin et a publié la première monographie allemande sur Edvard Munch en 1917. Il a acquis le tableau en 1912 lorsque le théâtre a été rénové et que la frise a été divisée en plusieurs panneaux. En avril 1933, les nazis ont démis Curt Glaser de son poste parce qu’il était juif. Un mois plus tard, l’historien de l’art a vendu sous la contrainte sa collection, qui comprenait également des œuvres d’Henri Matisse et de Max Beckmann. Il s’est enfui en Suisse, pour finalement gagner l’Amérique, où il est mort en 1943.
Thomas Olsen, qui est décédé en 1969, a par la suite réuni une collection inégalée d’une trentaine d’œuvres de Munch, dont l’une des quatre versions du Cri. Après la déclaration de guerre de la Grande-Bretagne à l’Allemagne en 1939, il a caché sa collection pendant tout le conflit dans une grange dans la forêt. C’est là qu’il a aussi déposé Le Cri, que Sotheby’s a vendu au nom de la famille Olsen pour 119,9 millions de dollars en 2012, record pour l’artiste. Le produit de la vente a été versé au musée ouvert par Petter Olsen à Ramme et à la restauration de la maison de Munch, qui sera ouverte aux visiteurs l’été prochain.
La vente du 1er mars a été négociée par les familles Glaser et Olsen ; le lot ne comporte aucune garantie. Simon Shaw, vice-président des beaux-arts chez Sotheby’s, note que La danse sur la plage « fait partie des plus grands chefs-d’œuvre expressionnistes encore en mains privées – son impact émotionnel bouleversant reste aussi puissant aujourd’hui qu’en 1906 ».