Comment cette exposition a-t-elle vu le jour, et pourquoi organiser aujourd’hui une présentation de dessins sur papier au Louisiana ?
Richard Prince : Les préparatifs de l’exposition ont commencé avant la pandémie de Covid, donc cela fait trois ou quatre ans qu’elle est prévue. Elle est principalement conçue par le conservateur Anders Kold, alors que d’habitude, je m’occupe moi-même du commissariat. Ce n’est peut-être que la deuxième fois que mon travail est exposé sans que je participe vraiment à la conception. J’ai toujours pensé que consacrer une exposition spécifique à un médium était difficile. Depuis la fin des années 1970, j’ai créé des ensembles d’œuvres autour de thématiques spécifiques [comme les séries des cow-boys, des infirmières ou de De Kooning], que ce soit en sculpture, en photographie ou en dessin. Le sujet venait en premier et ensuite son interprétation. Je n’aurais jamais essayé d’organiser une telle exposition moi-même.
Pourquoi avez-vous décidé d’intituler l’exposition « Same Man », titre emprunté à l’une de vos œuvres [Untitled (Same Man Looking in Different Directions) (1977-1978)] ? Êtes-vous toujours le même homme que l’artiste qui a débuté à New York dans les années 1970 ?
En ce qui concerne le titre, il évoque la question de la signature ou du style d’un artiste – ou plutôt, le fait de ne pas en avoir. Je n’ai pas vraiment envie de parler d’autres artistes, mais je regardais l’autre jour un fantastique tableau de Meret Oppenheim, dans lequel des rochers surréalistes émergent de l’océan [Stone Woman, 1938]. Le fait qu’elle ait pu faire cela et réaliser aussi une sculpture comme la tasse à thé doublée de fourrure [Object, 1936] est extraordinaire : ce sont les œuvres de la même femme, mais on pourrait croire qu’il s’agit de deux artistes très différents. Je suis le même homme qui va à l’atelier tous les jours et je veux sentir que j’ai la possibilité de faire tout ce que je veux. Je peux travailler sur une œuvre pendant quatre, cinq, parfois dix ans, et ce n’est qu’à partir d’un moment particulier de révélation, de production ou de reconnaissance que je sais que c’est de l’art. Je ne sais pas comment travaillent les autres artistes, mais j’ai été heureux de passer devant la salle [Sigmar] Polke en me rendant à mon exposition ici, au Louisiana. Je l’ai découvert au milieu des années 1980, et j’ai toujours imaginé que Polke et [Gerhard] Richter avaient vécu des journées similaires aux miennes : ils n’étaient pas soumis à une façon particulière de travailler ou contraints par la nécessité de faire en sorte que quelque chose ressemble à un Polke ou à un Richter. Ils sont entrés dans leur atelier et ont fait des découvertes.
Dans une vidéo accompagnant l’exposition, l’artiste danois Joachim Koester explique que l’on a souvent l’impression que quelque chose a été oublié dans les photos de cow-boys. Il observe qu'« il n’y a aucune trace du génocide des Amérindiens, ni des magnats, ni des industries minières, forestières ou pétrolières ». Qu’avez-vous choisi de laisser de côté dans vos nouvelles photos de cow-boys ?
Il ne s’agissait pas tant de laisser de côté que de laisser entrer. C’est plutôt le contraire. Lorsque j’ai commencé à rephotographier, je ne connaissais rien à l’appareil photo. Je travaillais au magazine Time Life, et mon travail consistait à m’assurer que toutes les images étaient transmises à la personne qui écrivait l’éditorial. Donc à la fin de la journée, après avoir déchiré ces magazines, il me restait les publicités. Elles étaient juste à côté de moi. Ce qu’elles promettaient était quelque chose d’impossible, mais aussi quelque chose en quoi je pouvais croire.
Au milieu des années 1990, vous avez créé une série Sans titre de textes et d’images qui présentaient des vignettes personnelles à côté d’un portrait et des noms d’entreprises américaines emblématiques telles que Citibank ou McDonald’s. Ces œuvres sont-elles liées à un sentiment de culpabilité ou s’agit-il simplement d’une plaisanterie ?
Cela fait partie du paysage américain, c’est là que je vis. Ces images et ces mots sont ceux que l’on rencontre tous les jours. Les portraits donnent une sorte de base qui n’est pas inventée, qui existe et qui est réelle. Ils sont privés, mais les noms sont déjà dans le domaine public, ils font partie de ce que tout le monde a déjà partagé ou critiqué, et ils ont donc leur propre système de valeurs. Ensemble, ils ont une sorte de vérité élémentaire.
Qu’entendez-vous par vérité élémentaire ?
Eh bien, il y a une part de vérité. En fin de compte, ce qui m’intéresse, c’est l’accord, qui est une émotion si puissante, parce que, d’après mon expérience, il n’y a pas beaucoup de situations où deux personnes sont d’accord.
Cela semble être une aspiration très sincère pour la création artistique, mais cela me rappelle aussi votre œuvre I’m not Linda (1992), qui comprend un dialogue qui peut se traduire par : « J’attendais au coin de la rue mon blind date. Quand cette fille est passée, j’ai dit : 'Êtes-vous Linda ?'. Elle a répondu : 'Vous êtes Richard ?' J’ai dit : 'Oui'. Elle a dit : 'Je ne suis pas Linda'. » C’est une rencontre amusante parce qu’il y a à la fois accord et désaccord, ou plutôt accord fondé sur de fausses présomptions.
Je ne pense pas que toutes mes blagues soient nécessairement drôles, mais je les traite comme un sujet comme un autre. C’est ce qui se passe quand on se lève tous les jours et que l’on va à l’atelier pour travailler. Il s’agit toujours de l’excitation d’entrer dans l’atelier et de ne pas savoir ce que je vais faire ce jour-là. Je veux être dans la position où je suis surpris.
Ces dernières années, votre travail a réagi aux structures et à l’autoprésentation des médias sociaux, et des critiques vous ont surnommé « l’artiste d’Instagram » en raison de la façon dont vous avez transformé la capture d’écran Insta en œuvre d’art. Qui est votre pseudonyme Instagram "Joan Katz" ?
Le pseudonyme, le faux nom, m’a toujours intéressé. Vous exploitez une partie de vous-même que vous ne tenez pas à révéler. C’est une façon de laisser sortir quelque chose que vous ne laisseriez pas s’exprimer d’une autre manière. Les portraits Instagram ou Instagram lui-même sont juste un autre magazine pour moi ; je l’utilise comme sujet de la même manière que j’ai utilisé le magazine pendant plus de vingt ans. Après j’ai commencé sur Instagram, c’était juste une façon de poursuivre cette idée de portrait que j’ai développée dans les années 1980. Vous ne veniez pas vous asseoir pour que je fasse votre portrait : vous me donniez cinq, six ou sept photos de vous que vous aimiez déjà et j’en rephotographiais une qui me plaisait et c’était votre portrait. Les outils étaient faciles à utiliser.
Les [images] de captures d’écran fonctionnent de manière similaire, mais c’était une révélation pour moi. Et l’idée de stocker des images sur votre téléphone dans une matrice m’a rappelé les portraits de gangs que je faisais auparavant. Je suis devenu obsédé par l’idée que je pouvais faire le portrait de quelqu’un que je connaissais ou à peine ou que je voulais connaître. Ce sont toutes ces choses qui m’attirent dans un certain type de portrait, et c’est donc ce que j’ai fait. C’est la même chose que lorsque je prends un stylo à bille et que je fais un dessin sur une feuille de papier, parce qu’il n’y a pas de mystère. Je n’essaie pas de tromper qui que ce soit. C’est fondamentalement la même chose que de travailler sur son téléphone, que je considère comme une extension de l’atelier. J’ai ce terme de « post-place » et je pense que c’est là que nous passons la plupart de notre temps intime. Vous pouvez être n’importe où, à n’importe quel moment, dans n’importe quelles circonstances. Je pourrais faire un portrait Instagram de vous en ce moment même, à l’heure où nous parlons. J’aime ces possibilités. C’est comme ça que je veux passer ma journée. C’est un excellent moyen de sortir du travail, non ?
« Richard Prince : Same Man », jusqu’au 10 avril 2023, Louisiana Museum of Modern Art, Humlebæk, Danemark