Lors de la dernière récession mondiale, Dubaï a souffert d’une crise de la dette qui a contraint son émirat frère, Abu Dhabi, à lui accorder une aide pour se renflouer à hauteur de 20 milliards de dollars (18,75 milliards d’euros). Mais alors que le monde est à nouveau au bord de la récession, Dubaï semble connaître cette fois une bien meilleure fortune économique. Selon la Banque centrale des Émirats arabes unis (ÉAU), l’économie de ce pays a connu l’an dernier une croissance de 7,6 %, la plus forte depuis 11 ans. Les chantiers de constructions mis en pause depuis longtemps sont relancés en raison de la montée en flèche de la demande de biens immobiliers, tandis que d’autres secteurs, tels que les loisirs et la culture, connaissent une baisse de croissance cette année.
C’est dans ce contexte qu’Art Dubai (du 1er au 5 mars 2023) ouvre sa plus importante édition, revenant sur le devant de la scène pour la première fois depuis la pandémie. La foire, spécialisée dans l’art du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et de l’Asie du Sud, réunit cette année plus de 130 exposants, avec une participation accrue de marchands africains et sud-asiatiques de premier plan et une section Art Dubai Digital élargie. « Dubaï se transforme rapidement en un centre financier et technologique mondial », déclare Pablo del Val, directeur artistique d’Art Dubai. Et d’ajouter : « La ville est en plein essor ».
S’il est un domaine qui n’est plus en plein essor, c’est bien le marché des cryptomonnaies et le secteur artistique qui y est lié. L’année dernière, Art Dubai a inauguré une nouvelle section consacrée au numérique : « Il s’agit d’un instantané annuel à 360 degrés du paysage de l’art numérique, qui jette des ponts entre les mondes de l’art et de la technologie et explore la manière dont les artistes utilisent les nouvelles technologies immersives pour faire tomber les frontières du monde de l’art traditionnel », peut-on lire dans un communiqué. Malgré l’hiver que traverse en ce moment l’univers « crypto », la section d’Art Dubai dédiée au numérique est passée de 17 à 22 galeries cette année. Elle est organisée par Clara Che Wei Peh, curatrice et critique d’art basée à Singapour.
« La concurrence [pour décrocher une place à Art Dubai Digital] a été beaucoup plus rude cette année », déclare Anna Seaman, cofondatrice et curatrice de MORROW collective, qui revient à la foire cette année. Le collectif présentera un stand d’artistes régionaux de premier plan et un second stand, en collaboration avec VISA, « présentant certains des plus grands noms internationaux du crypto art », ajoute-t-elle. Les œuvres exposées comprennent une nouvelle série NFT de l’artiste et poète émirati Nujoom Alghanem, qui est dérivée de son film de 2017, Sharp Tools, un documentaire artistique sur Hassan Sharif, qui est considéré comme le père de l’art contemporain aux ÉAU. « Des scènes du film ont été superposées et sont accompagnées de poésies d’Alghanem – elles sont magnifiques et donnent l’impression d’être une pièce d’Hassan [Sharif] lui-même », explique Anna Seaman. Les prix des œuvres varient entre 200 et 6 000 dollars (188 euros à 5 633 euros).
Anna Seaman estime que le krach des cryptomonnaies a inquiété beaucoup de membres du marché de l’art, mais elle pense que la situation est en train de s’améliorer. « L’année 2022 a été en grande partie très difficile », dit-elle. « Cependant, ajoute-t-elle, nous comprenons la volatilité de la cryptomonnaie et nous restons fidèles à notre conviction que, malgré les hauts et les bas, il y a un marché croissant pour les NFT d’art. » Mila Askarova, fondatrice et PDG de Gazelli Art House, dont la branche consacrée au numérique, GAZELL.iO, revient également dans la section numérique de la foire cette année, affirme que le krach a conduit à une « baisse de l’envie et des moyens pour acheter », mais que « certains mécènes et collectionneurs sont capables de surmonter les effondrement du marché et ont beaucoup soutenu pendant ces périodes les artistes avec lesquels nous travaillons. »
Mila Askarova affirme que l’intérêt pour l’art numérique dans la région ne cesse de croître. « La fidélité est essentielle dans cette région et, après le programme dynamique que nous avons eu via GAZELL.iO l’année dernière [à la foire], nous voulions être sûrs de renouer les liens avec notre clientèle existante et d’en rencontrer de nouvelles », ajoute-t-elle. La galerie expose Persian Dreams : Monument de Brendan Dawes (60 000 dollars, 56 243 euros), qui présente deux minutes d’images métamorphiques basées sur l’intelligence artificielle et des formes générées par des algorithmes à partir du poème épique persan historique Shâhnâmeh : le Livre des Rois.
Parallèlement, la solide reprise économique et l'augmentation de la demande pour les biens et les services à Dubaï est attribuée selon certains à un afflux de citoyens et d’argent russes vers l’émirat, qui n’a pas imposé de sanctions à la Russie. Les vols entre Moscou et Dubaï ont connu une énorme croissance en 2022 par rapport à 2019, certaines lignes aériennes ayant enregistré une explosion de 228 % du nombre de passagers. Pour le premier trimestre de 2023, les réservations à Dubaï pour des sièges de première classe sur des vols russes sont déjà supérieures de 103 % par rapport au même trimestre de 2019, selon la société de données de voyages ForwardKeys.
L’argent russe va-t-il stimuler les ventes d’Art Dubai cette année ? Mila Askarova et Anna Seaman prédisent toutes deux que cela aura peu d’effet pour leurs galeries. « Il n’y a pas de frontières ou de divisions géographiques dans l’espace cryptographique », affirme Anna Seaman. Elle applaudit cependant la façon dont Dubaï a traversé la crise économique. « Le gouvernement est réactif, astucieux et travaille dur pour s’assurer que l’économie reste forte, même dans les moments les plus difficiles », conclut-elle.