Lors de sa première nuit à New York en 1955, l’artiste d’origine grecque Chryssa s’est retrouvée encerclée par les lumières de Times Square, les panneaux clignotants faisant la promotion des appareils électroniques Admiral et de la bière Anheuser-Busch. Les lettres lumineuses ont profondément marqué l’artiste, qui y a décelé une beauté énigmatique, une vulgarité particulière qu’elle a qualifiée d'« extrêmement poétique ». Travaillant sur différents supports, elle est devenue l’une des premières à utiliser le néon dans l’art pour explorer le langage, la couleur et la lumière.
Pourtant, si Chryssa est devenue célèbre de son vivant, sa carrière de pionnière est aujourd’hui peu connue. Cette situation va peut-être changer grâce à la première grande exposition de son travail aux États-Unis depuis 1982, qui débute à la Dia Chelsea avant d’être présentée à la Menil Collection à Houston et à Wrightwood 659 à Chicago.
Intitulée « Chryssa & New York », l’exposition rassemble des dizaines de sculptures en néon rarement exposées – dont plusieurs ont été restaurées pour l’occasion – ainsi que des pièces en plâtre, en marbre et en métal moulé, et des œuvres sur toile et sur papier qui témoignent de l’intérêt de Chryssa pour les possibilités de communication offertes par les formes typographiques. L’exposition examinera en profondeur la manière dont le paysage urbain et créatif de New York, ainsi que les mouvements pop et minimalisme en plein essor, ont influencé Chryssa entre la fin des années 1950 et le début des années 1970.
« Chryssa faisait partie intégrante de la scène artistique new-yorkaise des années 1960 et 1970, mais elle était tombée dans l’oubli, explique Megan Holly Witko, curatrice externe à la Dia, qui a coorganisé l’exposition avec Michelle White, de la Menil Foundation. Nous voulions présenter cette exposition à New York parce que c’était un endroit important pour Chryssa – une grande partie de sa carrière artistique s’y est déroulée et les personnes qu’elle fréquentait y habitaient ».
Née Vardéa-Mavromicháli en 1933 à Athènes, l’artiste a grandi dans la Grèce occupée par les nazis. Elle travaille brièvement comme assistante sociale avant de se consacrer au dessin et à la peinture. En 1954, elle visite Paris et fréquente les cercles surréalistes, avant de se rendre aux États-Unis l’année suivante. Après un bref séjour à New York, puis à San Francisco, elle s’installe à Manhattan à la fin des années 1950, où son ascension est rapide. En 1961, elle présente sa première exposition personnelle à la Betty Parsons Gallery, puis au Solomon R. Guggenheim Museum, et en 1966, elle commence à exposer à la Pace Gallery. La ville lui fournit une grande partie de son matériel, qu’il s’agisse de journaux qu’elle déchire et transforme en peintures et en sculptures, ou de vieilles enseignes qu’elle récupère dans les décharges.
La pièce maîtresse de l’exposition, une sculpture intitulée The Gates to Times Square (1964-1966), permet d’aborder cette période de formation. D’une hauteur et d’une largeur de trois mètres, elle comprend des couches d’aluminium, d’acier et de néon enrobé de plexiglas, présentant des formes qui évoquent des écritures, mais qui ne sont pas pour autant lisibles. « Elle explore la dimensionnalité des fragments de signalisation et les associe au néon, explique Megan Holly Witko. Il s’agit de son opus magnum absolu, qui sert de fil conducteur à l’exposition. Une grande partie de son travail mène à ce moment, puis en découle. »
Lancée depuis 2016, l’exposition emprunte des œuvres à des musées, notamment la Albright-Knox Art Gallery de Buffalo, le Museum of Modern Art de New York et le Whitney Museum of American Art. Cette présence institutionnelle peut sembler difficile à concilier avec le manque de visibilité de Chryssa. Mais la diffusion de son travail a pâti des difficultés liées à la conservation du néon et au fait que Chryssa n’a pas bénéficié d’une représentation cohérente de la part de galeries. « Elle a beaucoup bourlingué, explique Megan Holly Witko. Vers la fin de sa vie, elle est retournée à Athènes. Elle n’y a plus bénéficié d’autant de réseaux qu’aux États-Unis. Chryssa est décédée à Athènes en 2013, huit ans après être retournée définitivement en Grèce. Son projet de création d’une fondation n’a jamais abouti ».
Ce projet itinérant a mis plusieurs années à voir le jour, en partie parce que ses commissaires ont mis du temps à retrouver ses œuvres et les personnes qui connaissaient l’artiste. L’exposition et le catalogue qui l’accompagne permettront de combler les zones d’ombre sur sa carrière, tout en invitant à approfondir les connaissances sur sa vie et son œuvre. « Nous avons vraiment essayé de ne négliger aucune piste », explique Megan Holly Witko.
« Chryssa & New York », 2 mars-23 juillet 2023, Dia Chelsea, New York ; 29 septembre 2023-10 mars 2024, Menil Collection, Houston ; 1er mai-15 août 2024, Wrightwood 659, Chicago