Le Musée National Romain vient de lancer l’un des plus importants projets dans le domaine des musées et du patrimoine à Rome, après avoir obtenu du ministère italien de la Culture un financement de 71 millions d’euros (qui porte le budget disponible total à 100 millions d’euros). Quatre sites majeurs de la capitale italienne sont concernés : les thermes de Dioclétien, le Palais Massimo alle Terme, le Palais Altemps et la Crypta Balbi. Les travaux sur les quatre lieux, réalisés dans le cadre du projet gouvernemental intitulé « Urbs, de la ville à la campagne romaine », s’étendront sur environ quatre ans et comprendront la restauration des bâtiments, la réorganisation des collections muséales et l’aménagement de nouveaux espaces d’exposition. Le plan directeur prévoit la rénovation des salles autour de la basilique de Santa Maria degli Angeli aménagée dans les thermes de Dioclétien, l’un des plus grands complexes de bains publics antiques au monde, et une nouvelle présentation de la collection de sculptures du XVIIe siècle de Boncompagni Ludovisi au Palais Altemps. Le directeur du Musée National Romain, l’archéologue français Stéphane Verger, nous présente ce programme.
Comment le projet reliera-t-il les différents quartiers de Rome ?
Stéphane Verger : Il s’agit d’un projet qui ne concerne pas seulement les espaces muséaux, mais qui est également lié aux plans de réaménagement urbain. Je pense au quartier de la gare de Rome-Termini, où se trouvent les thermes de Dioclétien et le Palais Massimo, et où la municipalité de Rome et Grandi Stazioni [filiale des Ferrovie dello Stato S.p.A., les chemins de fer italiens, chargée de la gestion des plus grandes gares italiennes] vont réaménager la Piazza dei Cinquecento. L’idée est de faire des thermes de Dioclétien un îlot de culture. Pour le Campo Marzio (champ de Mars), le Palais Altemps et la Crypta Balbi, notre projet est de les mettre en valeur dans le cadre du grand parcours touristique qui mène de la fontaine de Trevi au Panthéon, et de la place Navone au château Saint-Ange et au Vatican. Le Palais Altemps, édifice de la Renaissance, se trouve sur cet itinéraire mais n’est pas très connu des touristes.
Les grandes sculptures en bronze comme le Boxeur au repos (330-50 av. J.-C.) et le Prince hellénistique (IIe siècle av. J.-C.), exposées jusqu’à présent au Palais Massimo, vont-elles être déplacées au Palais Altemps ?
Nous avons longuement réfléchi à la manière de présenter la sculpture grecque, qu’il s’agisse des originaux ou des copies et recréations romaines de modèles et de styles grecs. Autour de cette question fondamentale, nous voulons articuler une histoire thématique au sein du Palais Altemps, de l’Antiquité à la Renaissance et au Baroque. Une autre de nos intentions sera de raconter la « biographie » des objets exposés et leur longue histoire. Je pense par exemple au Discobole (Ve siècle av. J.-C.), pillé par les nazis et récupéré seulement à la fin de la Seconde Guerre mondiale, une œuvre qui est actuellement exposée aux Scuderie del Quirinale (Écuries du Quirinal) dans le cadre de l’exposition « Arte liberata 1937-1947 ».
Quelles seront les thématiques abordées dans les trois autres lieux ?
Les thermes de Dioclétien, le Palais Massimo et la Crypta Balbi retraceront l’histoire de Rome depuis ses origines jusqu’au XXe siècle. Aux thermes, nous raconterons comment la ville s’est développée du Xe siècle avant Jésus-Christ jusqu’à l’époque de l’empereur Dioclétien (IVe siècle après Jésus-Christ). Au Palais Massimo, c’est l’Empire romain qui sera au centre de l’attention, tandis qu’à la Crypta Balbi, nous aborderons la Rome d’aujourd’hui. La Crypta possède un magnifique parcours, créé en 2000, qui raconte la stratification urbaine séculaire de Rome. Le parcours archéologique sera rouvert, le musée sera agrandi et abordera l’époque moderne et contemporaine.
D’autres œuvres seront-elles sorties des réserves ?
Grâce à l’ouverture de nouveaux espaces d’exposition, nous pourrons présenter de nombreuses œuvres, dont certaines inédites, des collections du Musée National Romain. Dans les sept grandes salles que nous rouvrirons aux thermes de Dioclétien, par exemple, les visiteurs pourront faire des découvertes spectaculaires, notamment des œuvres qui n’ont plus été présentées depuis les années 1960 ou 1970, comme l’Artémis d’Ariccia, une sculpture monumentale en marbre de plus de trois mètres de haut, d’après un original grec du Ve siècle.
S’agit-il d’un musée tourné vers l’avenir et sa relation avec la ville ?
C’est Rome elle-même qui est innovante. On dit souvent que cette ville est un musée, mais ce n’est pas le cas : il s’agit plutôt d’un organisme vivant qui, à chaque époque, a su réutiliser le passé pour construire un nouvel avenir. Avec ce projet global, nous devons agir sur deux fronts : d’une part en décrivant la complexité de l’organisme urbain de Rome, d’autre part en plaçant de manière intelligente des créations d’art contemporain dans les sites du Musée National Romain. C’est dans cet esprit que nous avons présenté l’œuvre Empire d’Elisabetta Benassi à la Crypta Balbi [en 2019] : le langage de l’art contemporain permet de comprendre ce qu’est la stratification urbaine à Rome. Un musée ne peut pas rester figé, il doit suivre et répondre aux transformations de la ville.