Comment renouveler un médium déjà très exploité depuis que Paris est devenu la capitale du dessin, et dénicher de nouveaux artistes ? En repoussant sans cesse ses frontières ! Au Carreau du Temple, la palme revient sans doute pour cette 16e édition du salon Drawing Now à une œuvre de la galerie LMNO de Bruxelles qui présente, au sous-sol, un tapis roulant affichant des formules mathématiques calculant le passage et la distance des nuages, œuvre du jeune scientifique Pep Vidal…
Sans aller aussi loin, ce cru 2023 fait surtout la part belle à des œuvres d’animation créées par des artistes naviguant entre différentes pratiques. Et désormais, ces vidéos se déploient tant au niveau inférieur, réservé aux démarches les plus contemporaines avec les secteurs Insight et Process, qu’au rez-de-chaussée, plus généraliste. Les galeristes font coup double, avec ces pièces ciblant collectionneurs pointus et institutions, souvent accompagnées des dessins ayant servi à les réaliser, plus facile à installer chez soi. Contrastant avec la plupart des œuvres numériques en vogue, ces vidéos s’avèrent de grande qualité, révélant souvent une technique remarquable et des univers artistiques singuliers.
Parmi les nombreux représentants de musées et centres d’art présents au vernissage le 22 mars, l’un d’eux venu d’Outre-Rhin s’est longuement intéressé à l’installation immersive de la Hongroise Eva Magyarosi chez Analix Forever, de retour (au sous-sol) après plusieurs années d’absence. Ses dessins sur textile s’accompagnent d’une vidéo elle aussi sur le thème de l’enfance, qui fait partie d’une série présentée à la Biennale de Kochi, en Inde. L’artiste, avec une grande poésie, cherche à y dévoiler « les rêves des enfants sous leurs paupières », explique la galeriste Barbara Polla. Et d’ajouter : « Les visiteurs de Drawing Now viennent par amour du dessin et pas pour des mondanités, pour la dimension intime et humble de ce médium, qu’on retrouve dans cette vidéo d’animation ».
Un peu moins abouties peut-être, mais macabres à souhait, celles de Biljana Djurdjevic chez Hestia (Belgrade, première participation) dénoncent une société autoritaire à la George Orwell (1 500 euros la vidéo). Plus loin, au même niveau, des NFT sont présentées pour la première fois au salon, chez Miyu, combinées à des œuvres d’animation de plusieurs artistes, dont Rachel Gutgarts, qui associe la flamme oscillante des bougies au mouvement rituel des prières juives, à la foi (1 500 euros).
Toutefois, la vidéo la plus impressionnante du salon est probablement celle de Nemanja Nikolic qui occupe tout le stand de la galerie Dix9 - Hélène Lacharmoise. Celle-ci présente The Plot, une vidéo inspirée de scènes de poursuite ou de panique issues des films noirs des années de la Guerre froide, dont ceux d’Alfred Hitchcock, transformées en scènes de cauchemar surgissant des pages d’un livre de l’époque du dictateur Tito… Il a fallu 5 000 dessins pour réaliser 9 minutes de film ! La vidéo, édition de 6, est proposée à 18 000 euros. Les dessins formant l’une des séquences ont déjà trouvé preneur. Les œuvres de l’artiste sont actuellement montrées dans l’exposition « Top secret, cinéma et espionnage » à la Cinémathèque française à Paris, avant de voyager à la CaixaForum à Barcelone et à Madrid.
Au rez-de-chaussée, la galerie Bendana-Pinel présente une vidéo étonnante peuplée de personnages (en réalité des performances !) d’Inci Eviner de 2010 qui se veut « une réflexion sur la citoyenneté européenne », à regarder de près… L’artiste, qui a représenté la Turquie à la Biennale de Venise en 2019, figure dans les collections du Centre Pompidou. Comptez 53 000 euros pour cette pièce majeure. Juste à côté, la galerie a accroché des dessins du duo Dias & Riedweg, « artistes vidéos revenus à la pratique du dessin pendant la pandémie de Covid », explique Juan-Carlos Bendana-Pinel.
Hors les vidéos, point de salut ? Pas tout à fait, puisque cette édition recèle bien des pépites plus classiques, tel le focus sur Daniel Dezeuze de la galerie Templon, qui participe au salon pour la première fois avec un bel ensemble comprenant une série poétique de 2016 inspirée par le jardin de Monet à Giverny et jamais montrée (2 000 à 8 000 euros). « C’est un grand théoricien du dessin qui a formé de nombreux étudiants quand il était professeur », souligne la directrice générale de l’enseigne, Anne-Claudie Coric. Des dessins de Chiharu Shiota, Daniel Dezeuze ou encore Abdelkader Benchamma ont été vendus. Enfin, Suzanne Husky (représentée par Alain Gutharc) a reçu le Prix Drawing Now 2023 pour son ensemble consacré aux questions environnementales et à la préservation de la nature. Dont une piquante série critique sur les dirigeants de la planète plantant symboliquement un arbre… Une artiste à retrouver ce printemps et cet été au Domaine de Chamarande, dans l’Essonne.