Chaque édition est l’occasion pour Art Paris d’inviter deux commissaires indépendants à penser chacun un parcours à partir des œuvres présentées par les galeries. Cette année, la notion d’engagement est mise en lumière par le conservateur et critique d’art Marc Donnadieu. Fondatrice en 2014 de la plateforme curatoriale libanaise TAP (Temporary Art Platform), basée à Beyrouth et Paris, Amanda Abi Khalil explore quant à elle les questions liées à l’exil.
Depuis plusieurs années, Amanda Abi Khalil s’attache à élargir notre compréhension du phénomène migratoire en prenant en compte des formes de déracinement dépassant les problématiques d’éloignement géographique ou les politiques d’identité. Une démarche qu’elle applique au parcours « L’Exil, dépossession et résistance ». « Loin de sombrer dans le pathos, ce que notre sélection pour Art Paris donne à voir est un panorama d’artistes exilés ou dont les œuvres traitent de l’exil comme processus complexe, poreux et personnel, pour l’entendre au-delà de sa connotation strictement géographique ou identitaire », précise-t-elle.
DÉPAYSER LES PRATIQUES
Parmi les dix-huit artistes sélectionnés, on découvre le travail du Palestinien Taysir Batniji (Eric Dupont), dont le sablier posé à l’horizontale évoque avec poésie une temporalité élastique, « suspendue ». Des artistes comme le Syrien Majd Abdel Hamid (gb agency) et la Colombienne Leyla Cárdenas (Galerie Dix9 – Hélène Lacharmoise) usent du textile pour saisir un temps qui fuit, ou ramener le quotidien à une forme de normalité. Quant à l’huile sur toile du jeune artiste syrien Anas Albraehe (Saleh Barakat Gallery), représentant un homme endormi dans un paysage abstrait, elle fait dire à Amanda Abi Khalil que « toute forme d’exil appelle quelque part au rêve ».
Dans son texte d’introduction, l’auteure du parcours cite la poétesse et peintre Etel Adnan (Continua/Lelong & Co.) comme exemple d’un exil pouvant être ressenti dans son propre pays. Le photographe ukrainien Boris Mikhaïlov (Suzanne Tarasieve) s’en fait l’écho, lui qui, dans les années 1970, tente de redonner de la couleur au quotidien morose qu’offre l’Union soviétique. Amanda Abi Khalil pousse la métaphore en faisant référence à une forme de migration de genre, dont parle notamment le récit de transition du philosophe Paul B. Preciado. Plus loin encore, la série Signs de Laure Prouvost (Dilecta/Galerie Nathalie Obadia) montre comment une œuvre d’art peut elle-même se trouver en déplacement, « comme si le contenu de l’œuvre essayait d’échapper à son format ».
Pourquoi cette volonté de dépasser les frontières sémantiques de l’exil ? Aux yeux d’Amanda Abi Khalil, élargir cette thématique « à la mode ces dernières années » permet aussi de contrer sa récupération par le marché de l’art : celui-ci « a tendance à accaparer les moments ou tournants dans l’histoire des événements contemporains. Nous avons une responsabilité aujourd’hui, en tant que commissaires, d’apporter un regard critique sur les sujets qui renvoient à une actualité sociopolitique afin de résister à leur instrumentalisation ».