Cette année encore, le PAD Paris se veut plus qu’un musée de pièces du passé où tout est à vendre. Le salon, qui se tient jusqu’au dimanche 2 avril 2023 dans les jardins des Tuileries, est aussi un laboratoire de tendances, un chaudron de nouveaux talents. Parmi les nombreuses galeries qui exposent des créations contemporaines, trois d’entre elles, venues de Mumbai (Inde), de Bruges (Belgique) et Lausanne (Suisse), attirent particulièrement l’attention.
Probablement la plus jeune galerie du salon, Objects With Narratives, basée à Bruges (Belgique), présente « Out of the Blue ». « Nous avons proposé à nos artistes de travailler sans limite sur un thème, la chambre à coucher, et une couleur, le bleu, spécialement pour le PAD », précise Oskar Eryatmaz, cofondateur de la galerie. Et d’ajouter : « l’idée est d’innover, redonner vie à une pièce devenue au fil du temps une simple salle dédiée au sommeil ». Chaque créateur s’est approprié un objet que l’on associe à une chambre – lit, paravent ou console – et en a livré sa version jouant à l’infini sur les nuances de bleu. Un projet qui pour certain s’est transformé en véritable challenge : le Portugais Mircea Angel a dû finir sa table basse dans les jardins des Tuileries la veille du montage du stand ! Pari gagné : son projet dégage une profonde sérénité, un endroit sûr pour se laisser aller à rêver.Prévoyez quelque 70 000 euros pour le lit Melina Melina.
La galerie suisse Foreign Agent invite quant à elle au voyage, à s’immerger dans la vie urbaine africaine, dans les rues d’Abidjan, de Ouagadougou ou de Lagos. Les artistes présentés par la galerie sont issus du continent africain ou de sa diaspora. Hamed Ouattara, Yinka Ilori, Jean Servais Somian ou Jomo Tariku, pour ne citer qu’eux, ont déjà tous une certaine renommée internationale. Ils s’inspirent de la culture locale, urbaine, et l’associent à un fort engagement pour l’écologie. « Mes pièces sont des « Totems », elles peuvent être sculpture, bibliothèque inspirée de masque de cérémonie ou colonne de rangement. Elles sont fabriquées avec du bois de cocotier, un bois qui pousse très vite. Il faut six ans seulement pour qu’un cocotier devienne adulte », explique le créateur Jean Servais Somian. Ses pièces, proposées entre 9 000 et 16 000 euros, font écho à celles du Burkinabé Hamed Ouattara dont les meubles créés à partir de tôle de barils d’huile de moteur sont pourtant de petits bijoux de récupération (entre 21 000 et 32 000 euros). « On fait avec ce que l’on a, on anoblit le matériau, chaque pièce doit exprimer quelque chose et surtout parler de poésie », poursuit Jean Servais Somian.
En 2022, Tarini Jindal Handa, fille et petite-fille de mécènes indiens, a fondé avec la créatrice Florence Louisy, la galerie æquō à Mumbai. Leur vision : associer designers internationaux à des artisans et des matériaux indiens. « Les designers viennent de partout », résume Sejal Jain, design manager d’æquō. « La production et la fabrication des pièces sont prises en charge par la galerie qui fonctionne en ce sens comme une galerie d’art contemporain. Notre projet impose simplement qu’elles doivent être réalisées en Inde par des artisans locaux avec des matériaux locaux. Ces artisans deviennent les coauteurs de l’œuvre ». Le résultat de l’expérience est assez étonnant : l’applique Modhera lamp de la Française Wendy Andreu a été fabriquée par les mêmes ouvriers qui produisent les célèbres Patra peti boxes (lunch box) que l’on voit passer de mains en mains dans toutes les gares en Inde. Une autre française, Valériane Lazard, propose un lit de repos en teck du Bangalore dont le matelas est tissé de paille ramassée dans les rizières du district de Gadag (État de Karnataka, sud-ouest de l’Inde). Une pièce qui a séduit le jury du PAD qui lui a attribué le « Prix du Design contemporain ». Au chapitre de l’artisanat d’art figure le remarquable travail du gypse à la galerie Jallu (Paris).
Une impression de totale liberté émane par ailleurs de cette édition du PAD : la création peut prendre toutes les formes, se laisser porter par tous les courants, prendre tous les chemins de traverse. Les pièces d’exception, icones des périodes pour lesquelles elles ont été créées, ne manquent pas : dès l’entrée, le regard est happé, sur le stand de Jacques Lacoste (Paris), par l’incroyable table aux cariatides réalisée par Diego Giacometti en 1976, l’une des pièces les plus onéreuses du salon. En effet, le prix de cette commande du célèbre décorateur Henri Samuel se situe autour d’un demi-million d’euros. Un peu plus loin, HP Le Studio (Paris) met en scène le style néoliberty italien. Grâce à son canapé du studio BBPR (1932-1969), parfait exemple du « rationalisme méditerranéen », il a emporté le « Prix Design historique ».
Les jeunes galeries, en force cette année, braquent leurs projecteurs sur des créateurs parfois oubliés. La Remix Gallery (Saint-Ouen) participe à la redécouverte des années 1980 en proposant de se lover dans le canapé « haute couture » de Christian Duc (1947-2013), discrètement éclairé par une sculpture lumineuse de Javier Mariscal (Né en 1950). Romain Morandi (Paris) poursuit, lui, sa relecture des années 1920 et expose le mobilier personnel du sculpteur expressionniste belge Oscar Jespers (1887-1970). Des pièces sobres et raffinées qui ont convaincu les collectionneurs et décorateurs venus en nombre à l’ouverture. On murmure qu’au moins deux pièces majeures auraient été vendues…
« Si le PAD est encore une fois un succès, malgré deux années d’absence, Covid oblige, rappelle Patrick Perrin, président du PAD, c’est en grande partie grâce à sa diversité, son éclectisme, sa capacité à faire venir les grands décorateurs internationaux, de Jacques Grange à Gregory Gatserelia. C’est aussi un évènement qui attire les collectionneurs réguliers et célèbres, dont Jacques-Antoine Granjon, Daniel Lebard ou Stavros Niarchos [petit-fils de l'armateur, ndlr] ».
Du côté de la grande décoration française, on se laisse bercer par l’onde délicate de la collection « Wave » d’Alexis Mabille Beaubow Edition (Paris). L’esprit de Jean-Michel Frank y rencontre notamment un portrait de l’artiste Simon Buret, chanteur du groupe Aaron, réalisé par les ateliers Robert Four à Aubusson. Enfin, le prix du stand a été attribué à la Dimore Gallery (Milan).
PAD Paris, jusqu’au 2 avril 2023, Jardin des Tuileries, 75001 Paris.