Le gouvernement italien n’a pas permis à trois curateurs ghanéens d’entrer en Italie pour participer à la Biennale d’architecture de Venise, qui se déroule du 20 mai au 26 novembre 2023. Ces derniers se rendaient dans la ville italienne pour travailler aux côtés de Lesley Lokko, la première commissaire d’origine africaine à superviser cet événement. Sous sa direction, plus de la moitié des participants à l’édition 2023 de la Biennale, intitulée « Laboratoire du futur », sont originaires d’Afrique ou de la diaspora africaine.
Selon Lesley Lokko, les commissaires se sont vus refuser leur visa en raison de craintes infondées, selon lesquelles ils pourraient tenter de ne pas participer à l’événement et d’en profiter pour s’installer illégalement en Europe. « Toutes les équipes ne sont pas égales [devant la loi] », a fait remarquer la commissaire lors de sa conférence de presse d’ouverture, ajoutant que l’exclusion de ses collègues ghanéens était un symptôme de la « face cachée » de la politique italienne en matière d’immigration. Elle a toutefois espéré que cette nouvelle n’éclipserait pas l’ouverture elle-même de la Biennale : « Pour l’instant, c’est une histoire qui fait les gros titres, mais elle ne peut pas devenir l’histoire déterminante de cette exposition, s’est-elle exprimée. C’est trop facile, trop prévisible, trop bon marché. »
Les trois hommes se sont vus refuser leur visa par l’ambassadrice d’Italie au Ghana, Daniela d’Orlandi, qui a publiquement accusé Lesley Lokko d’essayer de faire entrer des « jeunes hommes non essentiels » dans l’espace Schengen.
Dans une déclaration diffusée sur Twitter, Lesley Lokko a qualifié Daniela d’Orlandi de « diplomate de carrière ambitieuse qui cherche à se faire une place au sein d’un gouvernement de droite », en référence au nouveau gouvernement de coalition dirigé par la Première ministre populiste Giorgia Meloni, qui a remporté les élections en octobre 2022 sur la base d’un programme anti-immigration.
« Le document motivant le rejet de l’ambassade d’Italie à Accra stipule : "il existe des doutes raisonnables quant à votre intention de quitter le territoire ou l’État avant l’expiration de votre visa", a précisé Lesley Lokko lors de la conférence de presse. Aucune explication n’a été donnée sur la nature de ces doutes, raisonnables ou non ». La Biennale a confirmé à The Art Newspaper que des vols de retour vers le Ghana avaient été réservés pour chacun des commissaires concernés.
Les collaborateurs de Lesley Lokko sont employés par l’African Futures Institute, une initiative financée par un consortium comprenant la Fondation Ford, la Fondation Mellon et Bloomberg Philanthropies.
Sollicité par The Art Newspaper, un porte-parole de l’African Futures Institute a déclaré : « Nous ne voulons pas que cette question porte atteinte au travail acharné et aux efforts que les autres collaborateurs ont consacrés à l’exposition au cours des dix-huit derniers mois, ni aux succès des lauréats du Lion d’or ».
Dans une longue déclaration transmise à The Art Newspaper, Daniela d’Orlandi a déclaré pour sa part que la grande majorité des artistes africains qui ont demandé des visas pour assister à la Biennale les ont obtenus. « Notre ambassade est profondément engagée dans la promotion de la collaboration avec le Ghana dans tous les secteurs, y compris le secteur culturel, et nous n’épargnons aucun effort pour faciliter la participation des artistes ghanéens à d’importantes expositions d’art ou à des événements programmés en Italie », y est-il écrit. Le gouvernement italien, a-t-elle ajouté, a dû se conformer aux règles strictes de l’Union européenne, ce qui a conduit au refus d’accorder un visa aux trois curateurs ghanéens en question.
« Il serait restrictif de ne s’attarder que sur quelques refus de visa, qui découlent de l’application de la législation que l’Italie et les autres pays de l’espace Schengen sont tenus de respecter », affirme-t-elle dans le communiqué.
Sur Twitter, le critique d’architecture Olly Wainwright, qui écrit principalement pour The Guardian, a qualifié cette décision d’« écœurante ». Selon des personnalités du secteur de l’architecture, ce n’est pas la première fois que le gouvernement italien fait preuve de discrimination à l’égard de candidats africains à la Biennale d’architecture de Venise.
« Ce n’est pas une nouveauté pour ceux d’entre nous qui détiennent un passeport africain, a commenté dans un tweet Hannah Le Roux, architecte basée à Johannesburg et professeure associée à l’université de Wits. Il faut présenter des bulletins de salaire de trois mois différents, une preuve de disposer de 100 euros par jour, d’une assurance médicale de 600 000 euros et d’invitations officielles. Et une fois sur place, nous ne pouvons pas inviter les personnes de notre foyer à nous rejoindre. »
Killian Doherty, professeur d’architecture à l’Edinburgh College of Art, a tweeté pour sa part : « Peu de choses ont changé en dix ans. En 2012, j’ai obtenu un financement externe pour les visas, le voyage et l’hébergement afin d’emmener deux de mes étudiantes rwandaises en architecture à la Biennale de Venise. Les autorités italiennes leur ont refusé l’entrée au motif qu’elles présentaient un "risque élevé de fuite". »
Un porte-parole de la Biennale de Venise a déclaré à The Art Newspaper : « Nous pensons qu’il est important de préciser que Lesley Lokko, en tant que directrice de l’African Future Institute of Accra (AFI) au Ghana, et en accord avec La Biennale di Venezia, a demandé à ses collaborateurs, qui ont travaillé à divers titres pour concevoir la 18e exposition internationale d’architecture dont elle est la commissaire, d’être sur place à Venise pour les premiers jours de lancement de l’exposition, un moment important qui conclut le travail auquel ils ont consacré leur travail avec beaucoup de passion et d’engagement au cours des derniers mois. Nous avons demandé six visas pour eux en tant que collaborateurs directs, comme c’est le cas pour tous les collaborateurs. Un logement avait été trouvé pour chacun d’entre eux à Venise et les billets aller-retour pour le Ghana avaient déjà été réservés. Les visas ont été refusés à trois des collaborateurs, et l’un d’entre eux attend toujours une réponse. Nous sommes actuellement en contact avec les autorités compétentes pour trouver une solution. »
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18e Biennale d'architecture de Venise, du 20 mai au 26 novembre 2023, Giardini et Arsenal, Venise.