Kenneth Anger, monument du cinéma d’avant-garde américain et de l’art de l’image en mouvement, est décédé le 11 mai 2023 dans un établissement de soins à Yucca Valley, en Californie. Il avait 96 ans. Son décès a été confirmé par Monika Sprüth et Philomene Magers, les galeristes qui le représentent depuis 2009.
Kenneth Anger était surtout connu pour ses œuvres cinématographiques transgressives, notamment des films comme Fireworks (1947) et Scorpio Rising (1963) allant à rebours des conventions formelles et sociales de leur époque et, ce faisant, qui ont contribué à défricher de nouveaux horizons pour le cinéma underground américain et, plus largement, la culture pop dans son ensemble.
Anger est né Kenneth Wilbur Anglemyer en 1927 à Santa Monica, en Californie, dans une famille presbytérienne de la classe moyenne. Bien qu’il prétendra plus tard, dans un geste caractéristique d’« auto-mythologisation », avoir joué dans une version de 1935 de A Midsummer Night’s Dream (Le songe d’une nuit d’été), sa première expérience confirmée dans le domaine du cinéma date de 1937, à l’âge de 10 ans, lorsqu’il réalise son tout premier court métrage, Ferdinand the Bull, sur une bobine de film 16 mm laissée par une famille en vacances. Il continue à faire des films pendant toute son adolescence, en s’inspirant souvent de la mythologie classique et des feuilletons de science-fiction. Il développe rapidement un talent pour l’expérimentation formelle et conceptuelle. « Je les appelle des ciné-poèmes, a-t-il déclaré dans un entretien accordé à Dazed en 2011. Ce ne sont pas des films narratifs, mais plutôt des histoires racontées en images. »
Ces expériences se sont finalement cristallisées dans son film Fireworks de 1947, un mélange de drame grec et de narration psychosexuelle surréaliste, qui est aussi l’un des premiers exemples de cinéma expérimental explicitement queer. Le film, qui comporte une scène centrale orgiaque de violence masculine masochiste, a fait l’objet d’un procès pour obscénité qui, après avoir été renvoyé devant la Cour suprême du comté de Los Angeles en 1959, a contribué à assouplir les restrictions sur les contenus qualifiés d’« obscènes » dans les arts.
Dans les années qui ont suivi Fireworks, Kenneth Anger a continué à repousser les limites esthétiques et politiques du raffinement et du bon goût. Il se lance dans un certain nombre de projets créatifs, dont une série de courts métrages et son tristement célèbre roman Hollywood Babylon, paru en 1959, qui décrit une foule de semi-vérités sordides sur la vie et la mort de diverses célébrités de Tinseltown.
En 1963, il sort Scorpio Rising, peut-être son film le plus célèbre : un mélange halluciné sous LSD de cuir, de religion et de violence autoritaire dont le contenu intentionnellement blasphématoire – comprenant des scènes de motards vêtus de cuir et issues d’une iconographie chrétienne et nazie – correspond à l’intérêt d’Anger pour les préceptes occultes d’Aleister Crowley et du sataniste Anton LaVey. Au cours de la décennie suivante, l’artiste poursuivra ses recherches sur ces visions occultes, qui culmineront avec Lucifer Rising en 1972. Après sa sortie, Kenneth Anger n’a plus produit de film pendant près de trente ans.
Au cours de cette période est survenu l’improbable : des réalisateurs hollywoodiens tels que David Lynch et Martin Scorsese ont revendiqué comme source d’inspiration la transgression pop dont il avait fait sa marque de fabrique. Ses bandes-son et ses montages ont même été cités parmi les prémisses de l’esthétique des clips vidéo musicaux. Bien qu’Anger soit resté résolument du côté de la transgression, son influence artistique s’est répandue dans de nombreux domaines visuels mainstream – ce qui est peut-être le meilleur héritage pour un créateur qui n’a jamais cessé de faire bouger les lignes.
« Kenneth était un précurseur, ont déclaré Monika Sprüth et Philomene Magers dans un communiqué. Son génie cinématographique et son influence perdureront et continueront à transformer tous ceux qui découvriront ses films, ses mots et sa vision. »