« Le corps masculin dénudé ou totalement nu est l’un des motifs les plus représentés dans l’histoire de l’art depuis l’Antiquité. Pourtant, contrairement au nu féminin, il faudra attendre septembre 2013 pour qu’une exposition au musée d’Orsay à Paris, « Masculin/Masculin. Le nu dans l’art de 1800 à nos jours », lui soit entièrement consacré », s’étonne Florent Barbarossa, commissaire-priseur, et précurseur de cette spécialité. Le sujet reste, malgré tout, encore sensible : il y a tout juste un an, sa vente inaugurale dédiée à la collection du célèbre galeriste parisien Pierre Passebon n’a pas été acceptée à Drouot. Étonnant lorsque l’on sait que les ventes Erotica, certes moins nombreuses qu’auparavant à Drouot, ne soulèvent jamais de réactions indignées. De surcroît, La Poste n’a pas voulu distribuer le catalogue de la vente au tarif normal, même sous pli, considérant que c’était pornographique !
Bruce Weber, Homme coiffé, de dos, vers 1980. Courtesy Barbarossa Maison de ventes
Surmontant ces obstacles, le jeune commissaire-priseur, qui a ouvert sa propre maison, s’est installé dans le 11e arrondissement de Paris. Dans ses locaux, il expose les 356 pièces qui seront proposées à la vente le 4 juin. Les amateurs pourront enchérir sur une photographie Charles « Tex » Smutny and Charles « Buddy » Stanley de l’Américain George Platt Lynes (estimation 2 000-3 000 euros). Ce tirage argentique de 1941 est issu de la Robert Miller Gallery, marchand entre autres de Robert Mapplethorpe. Dans une veine plus érotico-humoristique, The Wilde Brothers par Bruce Bellas alias Bruce of Los Angeles, devrait amuser les amoureux de Westerns et d’ouest sauvage (estimation 400-600 euros). Les amateurs de Jean Cocteau auront, quant à eux, la possibilité d’acheter la version originale clandestine de Querelle de Brest de Jean Genet illustrée par l’artiste (estimation 1 500-2 000 euros), ou le plat en terre émaillé Le Flûtiste, créé en 1958 (estimation 2 000-3 000 euros). « Je veux célébrer l’homme plus que le nu masculin, conclut Florent Barbarossa. Il est vrai néanmoins que la beauté du modèle compte beaucoup dans le résultat d’une enchère. » Pour creuser ce sillon, Florent Barbarossa vient même d’ouvrir, toujours dans le 11e arrondissement de Paris, la galerie Obsession, avec une exposition de dessins rarissimes de Paul Smara des années 1930-1940. Une redécouverte !
Matthew Haley, directeur général chez Bonhams Knightsbridge à Londres et responsable du département Manuscrits, livres rares et photographies, est un peu sur la même ligne : « The Male Form, la vente que nous présentons chez Bonhams Cornette de Saint Cyr à Paris [après l’avoir organisée à Londres, ndlr] n’est pas une vente exclusivement destinée à un public gay même si les collectionneurs le sont souvent. Les œuvres posent un regard sur le corps masculin, objet de désir ou non, vu par des hommes et des femmes ».
Contrairement à la vente de Florent Barbarossa, plus spécialisée et plus défricheuse, Bonhams a fait appel à tous ses départements pour bâtir sa vacation, réunissant autour de 86 œuvres, diverses et variées, tant sur les époques de création que sur les médiums proposés. Elle s’articule principalement autour du thème du portrait. Le très explicite Torso par Andy Warhol (estimation 40 000-60 000 euros) côtoie un phallus en pierre daté entre le IIe et le IVe siècle avant J.-C. (estimation 15 000-20 000 euros).
Émile Fabry, Apocalypse, 1911, huile sur toile, 260 x 352 cm. Estimation : 60 000 - 80 000 euros. Courtesy Bonhams Cornette de Saint Cyr
La sculpture anthropomorphe de Fabrice Hyber p.o.f. n°125 Homme de Bessines (estimation 6 000-8 000 euros) semble faire écho au Siège-homme de la créatrice américaine Ruth Francken. L’érotisme et l’humour du dessin de Tom of Finland Sans titre, Roger (estimation 20 000-30 000 euros) compensent le sérieux du portrait de Kee au lit / Kee in Bed, East Hampton, N.Y., 1988 par Nan Goldin (estimation 1 000-1 500 euros). Cette vente n’a de son côté pas connu la censure : « Nous avons eu carte blanche dès la première édition de The Male Form à Londres en juin 2022, assure Matthew Haley. De même pour la seconde à New York et la troisième ici à Paris. Si nous avons craint au départ quelques réactions négatives, nous avons été très vite rassurés par l’accueil des visiteurs pendant les expositions. » L’érotisme au masculin en voie de normalisation ?
« Masculin/Masculin », 10e édition, 4 juin 2023, Maison de ventes Barbarossa, La Salle, 20 rue Drouot, 75009 Paris.
Galerie Obsession, 5 passage Dallery, 75011 Paris.
« The Male Form », jeudi 1er juin 2023, Bonhams Cornette de Saint Cyr, 6 avenue Hoche, 75008 Paris.