Françoise Gilot est décédée le 6 juin 2023 à New York. Elle avait 101 ans. Artiste infatigable, son œuvre s’étend sur plus de 80 ans et défie toute tentative de catégorisation, faisant démentir ceux qui la considèrent comme une simple note de bas de page dans l’histoire de son ancien amant Pablo Picasso. Sa mort a été confirmée au New York Times par sa fille, Aurelia Engel, qui a déclaré que sa mère avait récemment souffert de problèmes pulmonaires et cardiaques.
Née le 26 novembre 1921 à Neuilly-sur-Seine, en banlieue parisienne, Françoise Gilot a étudié la philosophie et le droit avant de se consacrer pleinement à son art. Les premières années de sa carrière coïncident avec la Seconde Guerre mondiale et l’occupation nazie de Paris. C’est à cette époque qu’elle expose pour la première fois, en 1943, dans la galerie Madeleine Decre, dans le 8e arrondissement, et qu’elle rencontre Picasso, de quarante ans son aîné. Le récit qu’elle fait de leur relation durant dix ans, publié en 1964 dans un livre de mémoires écrit avec le journaliste Carlton Lake et intitulé Vivre avec Picasso [Titre original : Life with Picasso], lui vaut l’ire des partisans du maître espagnol et fait d’elle une figure héroïque de l’histoire de l’art féministe.
« Parfois, les gens vous aiment. Parfois, ils ne vous aiment pas, a-t-elle déclaré dans un entretien au New York Times Style Magazine en 2019. Mais vous n’allez pas vous façonner en fonction des souhaits des autres, qu’ils soient négatifs ou positifs, vous savez. Vous devez être fidèle à vous-même et à la vérité. Ce sont les deux seules choses importantes. Je ne pense pas que je doive être fidèle à ce que pense le public en général, parce que, dans ce cas, pourquoi devrais-je dire quelque chose dont il s’est déjà fait une idée ? »
Au milieu des années 1950, la relation de Françoise Gilot avec Pablo Picasso a pris fin – ils ont eu deux enfants ensemble, Claude et Paloma Picasso – et elle épouse Luc Simon. Quelques années plus tard, elle commence à exposer à la galerie Louise Leiris, à Paris, et son travail continue d’évoluer, passant du style cubiste qu’elle a exploré au début des années 1950 à une figuration constituée d’aplats, caractérisée par une géométrie forte et des couleurs vives.
Au cours de la décennie suivante, malgré le tollé provoqué par la publication de ses mémoires, Françoise Gilot expose beaucoup en Europe et aux États-Unis, notamment à la David Findley Gallery à New York, à la Galleria Santo Stefano à Venise, à la Galleria Dantesca à Turin et à la Galerie Coard de Paris. En 1962, elle divorce de Luc Simon, le père d’Aurelia Engel.
En 1970, Françoise Gilot épouse son deuxième et dernier mari, Jonas Salk, un virologue qui a mis au point l’un des premiers vaccins contre la polio. La même année, elle bénéficie de ses premières expositions individuelles dans des musées. De nombreuses autres suivront. Outre la peinture, elle continue à s’adonner à la gravure et à la poésie. En 1972, elle publie son premier livre d’artiste composé de gravures et de poèmes, Sur la Pierre, édité par l’Atelier Mourlot à Paris. Au milieu de la décennie, Françoise Gilot réside principalement chez son époux, près de San Diego, en Californie, bien qu’elle passe une grande partie de son temps à voyager pour des expositions et d’autres projets.
« Françoise Gilot a été une véritable source d’inspiration pour nous tous, pour Jonas de son vivant et pour l’ensemble de notre communauté grâce à son implication dans Symphonie à Salk et dans de nombreux autres projets de Salk, a déclaré dans un communiqué Gerald Joyce, président de l’Institut Salk, basé à La Jolla, en Californie, une fondation scientifique créée par Jonas Salk. Son génie artistique est visible sur le campus grâce aux nombreuses œuvres d’art dont elle nous a fait don. Alors que nous pleurons sa mort, nous célébrons l’esprit de Françoise en réfléchissant à son œuvre et à son engagement envers l’Institut Salk. »
Françoise Gilot était installée à New York depuis le début des années 1980. Une importante série d’expositions l’a fait voyager à travers les États-Unis et l’Europe. En 1998, une exposition à la Elkon Gallery à New York a mis en lumière ses œuvres des années 1940. En 2000, les éditions Acatos ont publié une monographie qui retrace son travail depuis 1940. Alors que ses premiers travaux étaient restés ancrés dans la figuration – qu’elle soit stylisée, épurée ou déconstruite dans une veine cubiste –, les dernières décennies de sa carrière ont vu ses peintures devenir de plus en plus abstraites, définies par des formes organiques rendues dans des couleurs vibrantes.
En 2012, la galerie Gagosian a organisé la première exposition de l’œuvre de Françoise Gilot aux côtés de celle de Picasso, « Picasso et Françoise Gilot : Paris-Vallauris 1943-1953 », centrée sur les œuvres réalisées au cours de leur relation. L’exposition est en partie le fruit d’une collaboration entre l’artiste et le biographe de Picasso John Richardson ; un partenariat a priori improbable, ce dernier s’étant montré critique à l’égard de des mémoires de Françoise Gilot dans un article paru en 1963 dans la New York Review of Books.
« Il ne m’avait jamais rencontrée, et il m’a jugée sur la base de choses qu’il avait entendues, a déclaré Françoise Gilot à propos de son amitié avec John Richardson, décédé quelques mois plus tôt, dans un entretien accordé à T Magazine en 2019. Ensuite, lorsque nous avons fait connaissance, nous sommes devenus de très bons amis. Que dire ? Beaucoup de gens pensaient qu’en étant contre moi, ils plairaient à Picasso. C’est pour cela qu’ils ont fait ça. »
Les œuvres de Françoise Gilot font notamment partie des collections permanentes du musée Picasso d’Antibes, du Museum of Modern Art et du Metropolitan Museum of Art à New York, du musée d’art moderne de Paris, du New Orleans Museum of Art et du Women’s Museum de Washington.
Bien qu’elle ait passé la majeure partie de la seconde moitié de sa vie aux États-Unis, Françoise Gilot a reçu à plusieurs reprises des distinctions nationales en France. En 1978, elle a été nommée officier de l’Ordre des Arts et des Lettres par le ministre français de la Culture. Dix-huit ans plus tard, le président Jacques Chirac l’a élevée au rang d’officier dans l’Ordre national du Mérite. En 2009, le président Nicolas Sarkozy lui a décerné la Légion d’honneur.
« Ce que j’ai vraiment appris dans cette première phase [de ma carrière], c’est qu’il ne faut jamais appartenir à un groupe, parce qu’il y a toujours des leaders qui considèrent que les autres doivent se conformer à leur volonté, et je suis une non-conformiste », a-t-elle déclaré lors d’un entretien accordé à Terry Gross, de WHYY, en 1988, à l’occasion de la sortie de son livre An Artist’s Journey [Le parcours d’une artiste]. Je ne veux me conformer qu’à moi-même et aux désirs profonds qui me motivent en tant qu’artiste. Je me fiche éperdument de savoir si les autres suivent ou non cette voie. En fin de compte, si j’ai bien vécu ma vie d’artiste, mon travail – que j’appelle "le parcours de l’artiste", qui est une sorte de pèlerinage vers mon propre centre, mon propre être – est la seule chose qui compte. Et après tout, j’ai déjà suffisamment d’adeptes, alors je pense que j’ai fait ce qu’il fallait. »
« L’artiste peintre Françoise Gilot nous a quittés. Sa disparition plonge le monde de l’art dans une grande tristesse tant sa personnalité était lumineuse et inspirante, a déclaré le 7 juin la ministre de la Culture Rima Abdul Malak. D’inspiratrice à artiste, de Paris à New York, elle aura su s’imposer comme l’une des peintres les plus marquantes de sa génération ».