Wade Guyton : Wade Guyton
Après plus de deux décennies d’activité, Wade Guyton continue de surprendre par sa capacité à peindre, ou à composer, avec l’imprimante Epson. Il semble même avoir avec elle une liberté que d’autres ont avec une brosse ou un pot de couleur percé. Sans modifier sa méthode de travail consistant à plier la toile en deux pour l’adapter au format autorisé par la machine, à imprimer les deux parties puis à les déplier pour produire une composition ou un genre de diptyque. Il enrichit sensiblement son travail avec la couleur, toujours par calcul et hasard, via Photoshop et les dérèglements du logiciel d’impression. Dans le même temps, il poursuit son exploration de l’atelier, thème et motif, et par un accrochage dense il rapproche l’espace d’exposition du lieu de production.
Une sobre photographie de l’imprimante en action dans l’atelier côtoie une vue du même atelier avec un empilement de toiles pliées sur un plancher comme irradié, des teintes électriques, et de beaux effets à la Richter. On trouve une nouvelle version de la page d’accueil du site du New York Times (de mars 2023) maculée d’éclats de couleur, mais aussi des all-over flamboyants. Le travail de Guyton prolonge l’écriture d’une longue histoire des rapports photo et peinture où l’encre a depuis longtemps sa place. À la façon d’un maître parvenu à l’âge mûr, il peut glisser une allusion à Courbet (la photo du cerf mort), avec une sensibilité que l’on devine aussi écologique que romantique, ou une autre au cubisme (un cannage de chaise). Autre exemple de photographie pure : une large fenêtre (en vrai, une large ouverture dans un immeuble en construction) ouverte sur la ville qui élargit le point de vue et invite à méditer.
Du 3 juin au 22 juillet 2023, Galerie Chantal Crousel, 10 rue Charlot, 75003 Paris
Deborah Roberts & Niki de Saint Phalle : The Conversation Continues
Avec les morceaux de différentes photos de visages, sans souci de l’échelle ni de l’angle de vue, Deborah Roberts en crée d’autres. Ce type de collage rappelle Dada, et Hannah Höch en particulier, mais c’est bien avec le Picasso cubiste qu’elle entend dialoguer. Ces visages d’enfants ou de jeunes adolescents noirs sont portés par des corps dessinés ou peints avec des motifs colorés (motifs d’Arlequin en particulier). « Période Nègre : the conversation continues » n’est pas uniquement une affaire de réécriture de l’histoire de l’art par une artiste afro-américaine. La série engage aussi une réflexion sur la construction de l’identité. Deborah Roberts a plus d’une fois rappelé que son idée de la beauté s’est construite à travers les chefs-d’œuvre de la peinture occidentale mais aussi des images de la mode et de la publicité. Les figures qu’elle construit jouent avec certains stéréotypes des couleurs unies mais, sous les dehors d’un joyeux chahut, sont aussi porteuses d’une profonde inquiétude : menaces sur l’intégrité du corps, difficulté à se construire.
Les sculptures et dessins de Niki de Saint Phalle s’accordent bien évidemment avec cet univers et les points de connivence existent. Mais, sans doute parce qu’elles nous sont trop familières, elles apparaissent plus Nanas de compagnie que réelles interlocutrices.
Du 26 mai au 22 juillet 2023, Galerie Mitterrand, 79 rue du Temple, 75003 Paris
Kiripi Katembo : Un regard
Kiripi Katembo (1979-2015) fut cinéaste, photographe, activiste, attaché à la défense et à la promotion de la scène artistique congolaise. Son filmVoiture en carton (2008) est un parcours à ras du sol dans Kinshasa. Si pour filmer sa ville l’artiste a choisi de dissimuler sa caméra dans une voiture-jouet, c’est pour ne pas s’exposer à des problèmes avec les gens dans la rue, pour être à la fois le plus vrai et le plus respectueux. Il en est résulté cette pépite de cinéma brut que l’on redécouvre à l’entrée de l’exposition. C’est plus ou moins le même esprit qui a dicté le principe de la série de photos Un regard. Plutôt que de braquer son objectif sur les passants, Katembo a choisi de le tourner vers les grandes flaques d’eau et de montrer Kinshasa à l’envers et épurée. L’effet pictural est délibérément recherché et accentué par une saturation des couleurs. Puissance onirique de ces compositions où les figures semblent des silhouettes dansantes, où les véhicules forment cortèges, et où quelques détritus, bouteilles de plastique et autres, nous ramènent à la réalité immédiate. Avec ces détritus en surface, le ciel prend des allures de dépotoir, ce qui n’est sans doute pas qu’une vision.
Un regard témoigne d’un amour profond pour ce Kinshasa, et la nécessité tournée en parti pris esthétique nous éclaire aussi sur son état. Qu’est-ce qu’une ville qui ne se laisse pas tout à fait capturer ? On découvre un autre très court film de Katembo, une petite foule que la caméra suit de près et qui vaut au filmeur des interpellations gouailleuses. Complément d’information, et preuve supplémentaire de son engagement.
Du 3 juin au 29 juillet 2023, Magnin-A, 118 boulevard Richard-Lenoir, 75011 Paris
Paul Mpagi Sepuya : Lustrer
Sur le modèle des studios de photographie du XIXe siècle, Paul Mpagi Sepuya a fait de son atelier de Los Angeles une véritable scène. Il use notamment d’un rideau et d’une grande cloison-miroir sur roulettes qui lui permettent de multiplier les effets de mise en abyme et les jeux de regard avec le spectateur. Cet atelier recèle également des objets précieux : colonnes tronquées, aiguière ou assiette en argent (les reflets encore) qu’on le voit manipuler précautionneusement avec des gants blancs ou lustrer. Une atmosphère fin de siècle que perturbe la vue d’un appareil photo moderne sur tripode, parfois seul au centre de l’image. Vues d’atelier ou natures mortes alternent avec des nus masculins chargés d’érotisme.
Le modèle est un ami, un amant, un complice et le rapport avec l’artiste ignore l’exploitation. Dans un autoportrait, Sepuya se montre nu, dos tourné, à gauche de l’image la main posée sur un socle tandis qu’un homme nu accroupi à droite de l’image le photographie. Dans un autre, il montre à son modèle comment capturer ce que l’on croit être l’image qui est devant nous. La place de l’auteur, on le voit, est mobile et changeante. Ces mises en scène participent d’un esprit d’investigation sur la photographie et son histoire, sur la place et le rôle du modèle, mais sans faire de thèse. Il y entre une part de jeu avec les objets (ah, ce siège Savonarole !), les situations, les mots aussi puisque aux reflets dans les plats d’argent répondent quelques tirages au sel et nitrate d’argent. Un composé subtil d’esprit savant, de préciosité et de naturel.
Du 3 juin au 28 juillet 2023, Galerie Peter Kilchmann, 11-13 rue des Arquebusiers, 75003 Paris