« Ce sont les masques de la vie et de la mort », explique Nicholas Cullinan, directeur de la National Portrait Gallery (NPG), en montrant les traits figés de John Keats et de William Blake, mais aussi les portraits de Shami Chakrabarti et de Tracey Emin, heureusement toujours parmi nous. Bientôt sera aussi installée dans une vitrine centrale la tristement célèbre Blood head de Marc Quinn.
Le directeur de la NPG a dévoilé en avant-première à The Art Newspaper l’un des nouveaux temps forts que réserve l’institution pour sa réouverture. Nicholas Cullinan estime que ces portraits morbides et intimes fascineront les visiteurs. Il a aussi fait preuve d’une utilisation créative de l’espace dans ce bâtiment situé dans le West End de Londres.
Le musée a été fermé pendant trois ans pour un réaménagement et une rénovation qui ont coûté 41,3 millions de livres sterling (48,1 millions d’euros). Les masques sont exposés dans la Rotonde, une pièce donnant sur l’église St Martin’s in the Fields. « C’est un grand espace, mais il est difficile d’y exposer des peintures, car il n’y a qu’un seul mur utilisable », souligne Nicholas Cullinan. Cette présentation sélective mais imaginative pourrait presque résumer sa vision. « Je pense que les gens la trouveront intrigante et originale. Nous ne voulions pas perdre cet aspect de la National Portrait Gallery, car les visiteurs, moi y compris, la connaissent et l’aiment, et pensent à cet endroit un peu différemment des autres. »
Nicholas Cullinan, âgé de 46 ans, est tombé amoureux de la NPG lorsqu’il y a travaillé en 2003 en tant qu’« assistant au service des visiteurs », alors qu’il étudiait au Courtauld Institute of Art. « Je voulais rendre le musée aussi beau que possible. Je l’aimais, mais il n’était pas toujours une expérience mémorable d’un point de vue esthétique. En fait, c’est un beau bâtiment et une belle collection. Je veux faire beaucoup plus que révéler sa beauté, même si cela fait partie de mes intentions. »
Le directeur a préféré à la construction d’une nouvelle aile une réorganisation des espaces et la suppression d’ajouts postérieurs pour redécouvrir la splendeur du lieu originel datant de 1893 et conçu par le premier directeur de l’institution, Sir George Scharf.
Les sols caractéristiques de ce palazzo ont été dégagés et conservés. Le logo créé par Scharf dans un croquis de 1893, un motif figurant dans le pavage de l’ancien hall d’entrée, est à nouveau celui utilisé officiellement par la NPG. Il apparaît sur les parapluies et les tasses en vente dans la nouvelle boutique de souvenirs qui donne sur Charing Cross Road.
« Il y avait beaucoup de fenêtres murées ou occultées par des volets, les lucarnes étaient recouvertes de plomb, de sorte que l’ensemble du bâtiment donnait l’impression d’être sombre et fermé par rapport à l’extérieur », explique Nicholas Cullinan. Et de citer une remarque de l’architecte qui a dirigé le projet, Jamie Fobert : « Jamie a déclaré qu’il s’agissait d’une institution publique qui ressemblait davantage à un club privé de gentlemen. Elle tient tout le monde à distance au lieu de les accueillir. Désormais, il y a beaucoup de lumière et on peut s’orienter. »
Jamie Fobert a créé une nouvelle entrée fastueuse, orientée vers le nord et donnant sur Leicester Square. Selon Nicholas Cullinan, les gens passaient devant les anciennes portes sans les remarquer, mais la nouvelle entrée confère au musée « une présence publique », avec sa cour, qui fait écho à l’emplacement très bien établi de sa voisine, la National Gallery, sur Trafalgar Square. Lors de l’inauguration officielle le 20 juin, la princesse de Galles a rencontré Jamie Fobert et Tracey Emin, qui a été chargée de créer une œuvre pour les nouvelles portes du musée, comprenant 45 panneaux en laiton sculpté, représentant « chaque femme, à travers le temps ».
La NPG a également dépensé 2,7 millions de livres sterling (3,1 millions d’euros) pour racheter un ancien kiosque qui se trouve devant le musée : c’est un endroit où l’on peut acheter du café et des fleurs, suggère Nicholas Cullinan, mais qui permet également d’accéder à un grand espace souterrain.
Une fois à l’intérieur du bâtiment principal, les visiteurs sont accueillis dans un « espace plus humain et plus harmonieux » – l’escalator qui dominait auparavant est maintenant discrètement dissimulé – et un nouveau guichet en bois à double hauteur. Si l’espace d’exposition temporaire est toujours situé au rez-de-chaussée – l’exposition inaugurale, intitulée « Eyes of the Storm », est consacrée aux photographies de Paul McCartney datant de 1963-1964 (28 juin-1er octobre 2023) –, les collections sont désormais plus faciles d’accès, de sorte que l’accrochage permanent gratuit peut être rejoint dès l’entrée, et non après les expositions payantes, ce que Nicholas Cullinan décrit comme une sorte de « paywall » malvenu.
Parmi ses priorités pour améliorer la NPG, le directeur voulait proposer un bâtiment de plain-pied. Un nouveau centre de médiation, comprenant trois ateliers, a aussi été aménagé au sous-sol. Un nouvel escalier conçu par Jamie Fobert – avec une belle interprétation contemporaine de la ferronnerie victorienne – relie ce centre au reste du musée et comporte deux rampes : une pour les adultes et une autre, plus basse, pour les enfants.
Dans les salles de l’étage, Nicholas Cullinan explique qu’avec Jamie Fobert ils ont une fois de plus suivi la vision fondatrice de Scharf, en s’inspirant de l’intérieur d’un palais florentin (le bâtiment historique de la NPG a été conçu en référence à un palazzo de style Michelozzo). Ils ont ajouté une palette de couleurs audacieuse : les salles peintes d’un bleu intense s’ouvrent sur des espaces aux tons fraise.
La NPG a fait l’objet d’un réaménagement complet qui a permis de présenter davantage de portraits. On y trouve une nouvelle étude de Thomas Ganter sur Dame Doreen Lawrence, l’autoportrait photographique de Khadija Saye (tragiquement décédée dans l’incendie de Grenfell), tandis que l’auteure Zadie Smith a posé pour l’artiste nigérian-américain Toyin Ojih Odutola.
Dans le cadre d’une collaboration de trois ans avec Chanel, une grande fresque murale représentant 130 femmes de l’histoire britannique, intitulée Work in Progress, a été commandée à Jann Hawarth et Liberty Blake. « Lorsque nous avons fermé nos portes en 2020, 35 % des portraits exposés dans nos salles d’après 1900 étaient ceux de femmes, précise Nicholas Cullinan. Aujourd’hui, ce chiffre est passé à 48 %, soit un bond considérable en trois ans. » Mais le directeur de la NPG affirme ne pas avoir été influencé par le récent réaménagement de la Tate Britain, critiqué par le Guardian, qui l’a qualifié de « vide, digne et ennuyeux ». « Je l’ai vu, mais nous n’avons pas comparé nos idées. D’une certaine manière, on peut dire qu’ils font quelque chose de similaire à ce que la NPG a toujours fait, c’est-à-dire introduire davantage de contexte historique. »
La collection de la NPG est complétée par des prêts judicieux et l’accrochage reste chronologique, commençant par la très appréciée salle Tudor, avec les portraits accrochés sur de nouveaux murs recouverts de tissu (qui ornent toutes les cimaises du deuxième étage), et avec la promesse de cartels plus vivants.
Comment la NPG décide-t-elle aujourd’hui des personnalités qu’elle souhaite commémorer par un portrait ? Le dernier mot revient-il à l’équipe de conservateurs ou au conseil d’administration ? « Lorsqu’il s’agit d’acquisitions, elles sont généralement choisies par les conservateurs, comme dans tout musée, répond Nicholas Cullinan. Nous proposons de potentielles acquisitions qui doivent être approuvées par le conseil d’administration. Mais nous faisons une chose différente des autres musées : nous passons des commandes. Nous proposons une liste de personnes qui ne font pas partie de la collection. » Le conseil d’administration prend la décision finale concernant ces nouvelles personnalités, et les conservateurs choisissent ensuite les artistes qui réaliseront leurs portraits.
La nouvelle acquisition qui retient le plus l’attention est le Portrait of Mai (Omai) (1776) de Sir Joshua Reynolds, que la NPG a acquis en avril 2023 pour 25 millions de livres sterling (29,1 millions d’euros). Le musée londonien partage à 50 % la propriété de l’œuvre avec le Getty Museum de Los Angeles. Les deux institutions exposeront le tableau à tour de rôle. Ce système inhabituel de multipropriété a été négocié par Nicholas Cullinan, qui a qualifié Mai d’acquisition la plus importante réalisée par la NPG. « Ce tableau n’a jamais fait partie d’une collection de musée ; il a toujours été en mains privées, et est resté dans un coffre-fort pendant 20 ans. Je pense que lorsque tout le monde pourra le voir à la réouverture de la NPG, il marquera les gens. » Ce portrait semble en effet étonnamment frais, les empâtements étant intacts.
Tout comme la collection de masques de la vie et de la mort, l’acquisition de Mai fait figure de manifeste de la part de la nouvelle NPG. « L’image d’une personne non blanche dans la Grande-Bretagne géorgienne à qui l’on donne de la dignité est très puissante. C’est tout ce que nous avons essayé de faire : exposer des portraits de la plus haute qualité », conclut Nicholas Cullinan.
National Portrait Gallery, St Martin’s Place,Londres.