Nathaniel Mary Quinn : The Forging Years
Nathaniel Mary Quinn peint ses figures en imitant la technique du collage dadaïste : les parties du visage sont peintes selon différents angles, dans des manières différentes (du très réaliste au très expressionniste) et des techniques qui le sont aussi (fusain, acrylique, pastel, gouache). Seuls le contexte et des commentaires de l’artiste peuvent nous aider à déterminer si ces œuvres portent en elle la souffrance ou le plaisir. Ainsi, Superjet montre quatre personnages compressés dans un chariot de supermarché, vision que l’on pourrait trouver drôle ou effrayante avant d’apprendre qu’il s’agit d’un souvenir heureux, celui de sorties en famille avec ses quatre frères.
Ce n’est pas abuser de dire que pour Quinn, la peinture joue un rôle qui n’est pas loin d’être thérapeutique. Au centre de cette exposition consacrée aux années de formation, il place un épisode traumatique : l’intrusion dans l’appartement de sa mère d’un dealer menaçant (cause indirecte de la disparition prématurée de celle-ci). Dans les deux portraits (de mémoire ?) de l’intrus qui figurent ici, aucun jugement n’est imprimé. On se demande alors si ces désordres de la face plutôt qu’une énième traduction d’un mal-être ne sont pas avant tout refus du portrait-robot et de ce qui, en général, fige l’identité dans des traits.
Dans ce qui ressemble essentiellement à une galerie de portraits se détache une scène dramatique : deux individus à tête d’oiseau, dont l’un braque son flingue sur une femme, un enfant dans ses jambes, qui hurle et lève au ciel des bras plus grands qu’elle. Un fait divers traité à la Guernica ou à la Beckmann mais qui tient aussi du cartoon.
C’est un autre détour pour plonger au plus profond du récit familial et y trouver cette beauté qui sauve.
Du 8 juin au 29 juillet 2023, Gagosian, 4 rue de Ponthieu, 75008 Paris
Jennifer Caubet : Deux ou trois choses que je sais d’elle
Ce qui nous accueille, visible dès la rue, c’est un mur constitué de différents modèles de grilles et de barres de défense en un certain ordre assemblé. Ce mur n’interdit pas le passage mais réduit notablement l’espace jouant un double rôle de sculpture et de sas. Double mais aussi ambivalent puisqu’il peut symboliser la sécurité et la peur qui l’accompagne mais aussi bien la révolte. Diffractions se dit des ondes, mais cela doit exister aussi des ondes de peur ou de violence.
À ce registre de révolte pacifique par le biais du détournement succède une vision poético-libertaire où des plantes sont amenées à s’exprimer directement sur la pierre lithographique, et où un dessin qu’on croirait tracé au pendule se présente comme une partition. Le communiqué de Pedro Morais évoque l’apparition « fantomatique des jardins ouvriers d’Aubervilliers » dans l’exposition.
Le parcours s’achève par Cabane, une structure ouverte, presque une esquisse, inspirée du refuge tonneau de Perriand et Jeanneret, lui-même inspiré d’un manège croate. Dans la transposition de Jennifer Caubet, il reste un mât central d’où rayonnent une douzaine de tiges, avec tout un jeu de fils à plomb. Cet hommage à Perriand définit un espace de partage entre projet architectural et habitat. Le fil à plomb, emblème de l’artisanat aux multiples résonances symboliques, est un objet cher à l’artiste. Peut-on dire que la sculpture est pour Jennifer Caubet une façon de distribuer l’espace et d’y implanter des idées ?
Du 20 mai au 22 juillet 2023, Jousse Entreprise, 6 rue Saint-Claude, 75003 Paris
Arnaud Labelle-Rojoux : Stop Making Sense
365 collages qui font une année et qui couvrent la totalité des murs de la galerie. À l’origine de cet ensemble, l’invitation lancée à Arnaud Labelle-Rojoux de concevoir une présentation des collections du Musée d’Art et d’Histoire de Genève. La première idée qui lui est venue en visitant les collections a été celle du collage. En souvenir de cette origine, la première œuvre de la série incorpore une photo d’une des armures du musée genevois. Le collage selon Labelle-Rojoux, c’est essentiellement un rapprochement de deux ou trois images de registres éloignés pour le choc, des recouvrements parfois (mais pas de montages compliqués), et surtout du texte, des légendes tracées à la main pour secouer le tout.
Derrière des références qui ne cherchent pas à dissimuler l’âge du capitaine, on remarque une richesse iconographique et une liberté venues du net ; à cheval entre une culture du flâneur qui ramasse des pages de journaux ou des messages abandonnés, et une culture de l’écran.
On y reconnaît bien évidemment le goût de toutes les avant-gardes depuis les arts incohérents jusqu’aux situationnistes, celui du cinéma d’auteur, une touche de punk aussi. La figure du Lacenaire du cinéma que l’on voit à deux reprises réunit à elle seule pas mal d’admirations. Occasion de s’instruire, de faire jouer sa mémoire et de reconnaître quelques visages masqués. Le « Stop Making Sense » est un pieux mensonge, puisque Arnaud Labelle-Rojoux n’arrête pas. Au contraire.
Du 26 mai au 22 juillet 2023, Loevenbruck, 6 rue Jacques Callot, 75006 Paris
Tornike Robakidze : My voice suspended in the air
Tornike Robakidze parle à propos de ses tableaux tantôt de visions, tantôt de poèmes. Accordons-nous alors pour y voir des visions poétiques. Usant parfois d’une technique peu courante, le pastel sur toile, jouant dans son accrochage de la diversité des formats, il alterne des compositions narratives et symbolistes, et des images fragmentaires. C’est comme s’il nous transportait dans un journal intime avec ses rêves et ses petits faits bruts, ses images instables et ses rêves récurrents. Les grands tableaux font voir un artiste hanté par des images de mort et de renaissance par l’eau ou par le feu, images que l’on pourrait croire issues de récits populaires, d’histoires chamaniques.
On s’habitue à voir des crânes un peu partout, et on se surprend à les trouver presque aimables. Alfred Kubin ou Léon Spilliaert ne sont pas loin, mais cet univers se nourrit aussi d’images cinématographiques. Les petits formats, eux, alternent ce qui ressemble à des photos-souvenirs d’un esprit juvénile, et des représentations fortes et dérangeantes, telle cette langue coupée surgie d’une bouche à demi-animale.
Du 10 juin au 29 juillet 2023, Lo Brutto Stahl, 21 rue des Vertus, 75003 Paris