Le transfert du patrimoine de la génération du baby-boom est de plus en plus manifeste sur le marché de l’art. Mais la demande correspondant à leurs goûts pour l’art d’après-guerre va-t-elle continuer longtemps ?
Selon les dernières estimations du cabinet d’études et de conseils Cerulli Associates, les Américains peuvent s’attendre à hériter de 73 000 milliards de dollars (environ 66 880 milliards d’euros) au cours des 25 prochaines années, dont 42 % proviendront des 1,5 % de ménages les plus riches. Ce sont eux qui possèdent le plus d’actions, de biens immobiliers et – peut-on supposer – d’œuvres d’art. Les collections privées ont stimulé le marché de l’art au cours des dernières années, beaucoup d’entre elles provenant de propriétaires récemment décédés. Lors de la gigantesque vente de New York de mai, 16 œuvres de la collection de l’héritier des médias S.I. Newhouse ont été estimées à plus de 144 millions de dollars (environ 132 millions d’euros) ; 220 œuvres du collectionneur Gerald Fineberg, à plus de 270 millions de dollars (environ 247 millions d’euros) ; un ensemble appartenant à Paul Allen, à 40 millions de dollars (36,6 millions d’euros) – le cofondateur de Microsoft a fait grimper les résultats des ventes aux enchères l’année dernière de 1,6 milliard de dollars – ; et les 33 œuvres du producteur de disques Mo Ostin ont été estimées à 120 millions de dollars (110 millions d’euros).
La plupart des pièces les plus remarquables sont celles de grands noms du XXe siècle, tel Willem de Kooning, Picasso, Gerhard Richter et René Magritte, que nous avons beaucoup vus ces derniers temps en vente. Mais par le passé, le marché a montré qu’il était régi par l’offre en défiant parfois toute logique économique. Dans le secteur des œuvres à plusieurs millions, les collectionneurs continueront d’acheter ces pièces « importantes » avec des estimations très conséquentes, quelle que soit la conjoncture.
Mais, alors que les collectionneurs prennent de l’âge, l’offre se resserre au sommet. L’une des craintes, que la société de conseil Cadell signale à ses clients, c’est que les goûts de la génération des baby-boomers s’éteignent avec elle. Une étude récente de Sotheby’s et d’ArtTactic révèle que les baby-boomers (nés entre 1946 et 1964) ont représenté 40 % des enchères sur les œuvres d’art d’une valeur supérieure à 1 million de dollars en 2022, contre 48 % en 2018. Selon les experts de Cadell, si cette tendance se poursuit, les chiffres diminueront encore de moitié au cours des dix prochaines années.
Changement de goût
Les jeunes collectionneurs sont de plus en plus nombreux à posséder un patrimoine de plus d’un million de dollars et ils vont de plus être les bénéficiaires d’héritages. La question principale est de savoir ce qu’ils voudront acheter. L’une des raisons qui pousse les enfants et les petits-enfants des collectionneurs à mettre en vente leurs œuvres est leur différence de goût d’avec les générations précédentes. Le dernier rapport sur le marché de l’art en 2023 réalisé par Art Basel et UBS montre, par exemple, que la part des ventes d’art vidéo, qui a longtemps été un marché difficile, a considérablement augmenté l’année dernière, passant de 1 % à 5 %. Il est peu probable que le marché de l’art abandonne de sitôt son amour pour la peinture, mais un changement est plausible, car la définition de l’art ne cesse de s’élargir. Il n’y a pas si longtemps encore, les maîtres anciens constituaient le sommet de la hiérarchie.
Une évolution est déjà en cours : les œuvres d’art créées par des hommes blancs décédés semblent de moins en moins pertinentes et désirables. Les maisons de ventes aux enchères s’efforcent de valoriser la diversité des collections mises en vente ce mois de juin, notamment celle de Fineberg, mais c’est un défi étant donné le nombre d’œuvres disponibles. À un moment donné, il n’y aura plus assez de femmes ou d’artistes de couleur du XXe siècle par rapport aux autres pour équilibrer les ventes. En attendant, de plus en plus de collections de baby-boomers vont arriver sur le marché, avant que l’offre ne se resserre.