L’espace secret de la forêt, d’un côté, celui de l’immensité de la dune Dewulf en bordure de mer du Nord, de l’autre : Virginie Yassef explore dans ses dernières œuvres des univers décalés, presque oubliés malgré leur proximité. Le 10 juin 2023, à la tombée de la nuit, elle a mis en scène autour du monument construit par Jean Tinguely et ses amis un spectacle faisant intervenir, à côté de musiciens et de performers, un rocher et un cheval. L’artiste recourt souvent dans ses œuvres (performances, vidéos, installations, sculptures, photographies) à la figure animale. L’arbre est aussi chez elle un motif privilégié. Mais, dans son travail, le moindre fragment de nature revêt une vie humaine. Un rocher « à écailles », copié sur ceux de la forêt de Fontainebleau, peut se mettre à parler ; il peut se déplacer ; il est une présence qui respire parmi les spectateurs. Comme les enfants refont le monde en empilant des cubes en plastique, Virginie Yassef invente des scénarios avec des morceaux de bois. Elle ouvre les portes du rêve en changeant l’eau en vapeur et enchante la nuit en faisant courir un cheval au son d’un somptueux final musical.
Son film Dunes, réalisé en collaboration avec une petite dizaine d’artistes plasticiens d’horizons divers, voyage lui aussi au bord du monde réel. D’emblée, les images, la musique instaurent un climat de film d’aventures. Des personnages sans visage, casqués d’étranges polyèdres, ont atterri sur une planète de sable et tentent de survivre avec les éléments trouvés sur place. La caméra enregistre leur avancée muette sur la crête d’un monticule, les suit alors qu’ils tirent un ballot de laine ou remplissent des seaux sur la grève. Un drone pointe les lointains, là où les couleurs se fondent dans un gris égal. La douceur des plans tranche sur la rudesse de l’environnement et s’y propage. Comme la plupart des mises en scènes de Virginie Yassef, Dunes tire son inspiration de la littérature, du cinéma, de la science-fiction, tout en se construisant avec l’imagination du spectateur. Les aventuriers de la dune sont-ils perdus ? Fuient-ils un danger ? L’artiste ne le dit pas. Elle sème des indices, suffisamment nombreux pour aider au développement d’un récit, mais laisse le sens en suspens. À la fin, quand nous voyons le groupe se fondre dans l’étendue poudreuse, les images de leurs jeux, le regard du loup qu’ils ont croisé, le souffle du vent poussant leurs cerfs-volants, la fluidité de leurs gestes restent encore en mémoire. Quelque chose de l’éternité de la dune et de son silence nous envahit. L’art de Virginie Yassef ne délivre pas de message. Il est matière à expériences.
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Virginie Yassef, Dunes (avec Anatole Abitbol, Ilanit Illouz, Vincent Lahache, Seulgi Lee, Théophile Peris, Pauline Phelouzat, Charles-Edouard de Surville) ; caméra et montage : Céleste Thouin ; coordination de production : Constance Arroyo ; production : Mondes Nouveaux
Dunes sera présenté le vendredi 7 juillet 2023 à 20 h au Fort des Dunes, 59495 Leffrinckoucke, et le 4 novembre 2023 au Cyclop à Milly-la-Forêt.