Le Centre Pompidou Francilien est une mutualisation de réserves de deux institutions, le Centre Pompidou et le musée national Picasso-Paris. C’est aussi un projet hybride, une « Fabrique de l’Art » prévue pour l’accueil du public, avec des espaces modulables destinés à y organiser des expositions. Quel était le cahier des charges ? Avec quelles contraintes avez-vous composé ?
Le cahier des charges était précisément ce paradoxe : combiner en un même projet un coffre-fort un peu secret, les réserves, et la création d’un phare de la culture. D’une part, une fonction de conservation des œuvres suivant les standards les plus pointus ; de l’autre, répondre à la demande de la Région d’attirer le public. À Paris, la culture représente 350 euros par habitant, contre 10 euros en banlieue. Ce projet a l’ambition de relier deux mondes, des deux côtés du périphérique. Ce cahier des charges singulier s’inscrivait dans un budget drastique, en comparaison, par exemple, de celui des réserves du Louvre à Liévin [Pas-de-Calais]. Nous avons conçu le bâtiment avec une immense rationalité, dans une économie de matières et de moyens, selon une trame cubique, sans aucun geste gratuit, pour être dans l’efficacité. Nous avons aussi veillé à la dimension symbolique – un tel bâtiment doit être une icône – dans une transgression de la contrainte et non dans un a priori formel.
Valérie Pécresse, présidente de la Région Île-de-France, a qualifié ce moment d’historique, revendiquant un choix engagé. Pour la première fois, un bâtiment d’une grande institution parisienne s’installe en banlieue. Ce site de création s’inscrit en outre dans un écosystème, sur le plateau de Saclay, qui réunit des pôles d’excellence de la recherche scientifique. Comment avez-vous réfléchi aux dynamiques possibles entre ce nouvel équipement culturel et ce contexte ?
Le maire de Massy, très ému lors de son allocution, a déclaré qu’il était un enfant de la banlieue et voyait dans ce projet une forme de revanche. Les familles ont cru à cette promesse de la modernité. Or, force est de reconnaître qu’aujourd’hui, c’est difficile. On l’a vu récemment, par exemple avec les « gilets jaunes ». Le déséquilibre territorial est très fort, notamment pour la culture. J’ai personnellement une relation particulière au plateau de Saclay. Avant d’être architecte, j’ai fait des études d’ingénieur. Je me souviens y être allé pour passer des oraux, c’était un désert. Depuis, il y a eu des investissements importants, des écoles s’y sont installées, mais c’est le gros problème de Saclay : faire lieu, faire vie. Cela va prendre du temps. Et donc, tout ce qui peut participer à cette activation du plateau de Saclay, à faire vraiment que ce soit une autre centralité me paraît absolument essentiel.
Pour ce projet de la Fabrique de l’Art, qui était le nom du concours, nous avons intégré dans notre réflexion des outils pour permettre de le faire rayonner. La terrasse du Centre Pompidou accueille des cocktails pour des entreprises, des événements. Cela crée à la fois un rayonnement autour de la culture et des revenus complémentaires. Sur le même modèle, le Belvédère à Massy, qui va dominer le lac et offrir une vue sur le paysage, a été conçu pour être attractif pour l’écosystème du plateau. C’est une manière de faire rentrer la dimension de la culture dans un plateau aujourd’hui très orienté sciences. Je milite beaucoup pour ce rapprochement entre arts et sciences. La ville de Massy, à proximité, permet aussi d’intégrer le parc à la Fabrique de l’Art, et ainsi attirer les riverains comme les Parisiens. Le caractère inclusif est une question centrale du projet.
Votre agence PCA-STREAM a la particularité d’avoir un centre de recherche travaillant avec des organismes, des universités… En quoi cela a-t-il été un atout ?
Mon parcours personnel, de la science à l’art en choisissant le point de rencontre entre les deux, l’architecture, explique en partie cette approche, cette philosophie, cultivée maintenant depuis un peu plus de vingt ans. Cela a débuté par une revue, STREAM, rassemblant une communauté de penseurs, qui a accompagné le développement de l’agence. Les dimensions technologiques, environnementales, qui ne figuraient pas auparavant dans l’architecture – principalement focalisée sur l’espace –, sont devenues essentielles. Nous avons ressenti le besoin de préparer le temps à venir. La nécessité de migrer de notions de pure création à un monde d’innovation permanente et rapide fait partie des grands changements actuels. Notre relation avec le monde universitaire s’est tissée sur cette constatation. Depuis quelques années, nous avons créé un laboratoire de recherche appliquée au sein de l’agence, dans le domaine des sciences humaines comme des sciences dures. Nous réfléchissons aux nouveaux usages. Chacun de nos projets est inspiré des recherches sur ces mutations, l’architecture vient ensuite répondre spatialement à ces questions. Nous menons aussi, bien sûr, des réflexions sur la façon de construire durablement, recycler, s’inscrire dans un processus bas carbone. La data et l’intelligence artificielle s’inscrivent aussi dans ces axes de recherche. On doit changer de regard, de paradigme. Auparavant, l’architecture avait une approche physique. On doit aujourd’hui regarder la ville comme quelque chose de vivant, un métabolisme. Passer de l’artiste au chercheur, voire au médecin. Nous avons ainsi créé une chaire de recherche avec Paris Sciences et Lettres (PSL), qui réunit de grandes écoles parisiennes. Tout ceci était présent dans notre esprit lorsque nous avons travaillé à la conception de ce projet, qui doit être un catalyseur. La présence de cette institution et les espaces que nous lui donnons doivent être un vecteur de sérendipité, favoriser cette rencontre entre les publics, les champs de connaissance, des institutions qui vivent en parallèle mais ne se croisent pas.
Le bâtiment entend poursuivre la philosophie du projet de Renzo Piano et Richard Rogers en puisant dans l’ADN du Centre Pompidou. De quelle manière ?
Il faut préciser qu’il s’agit des réserves du musée national Picasso-Paris et du Centre Pompidou. Mais dans des proportions, effectivement, qui sont très majoritairement celles du Centre Pompidou. Le volume de 30 000 m² est proche de celui de Beaubourg. Avec le lac, on voit presque un reflet, un fantôme du Centre. En référence à la conception initiale du Centre Pompidou, il s’agissait de créer un lieu ouvert à tous les arts, à tous les publics et à la ville ; que ce ne soit pas un lieu élitiste, refermé sur lui-même. Nous avons cherché à faire écho à ce bâtiment iconique, non pas dans un rapport à la ville mais à la nature. Que l’architecture du bâtiment soit à la fois agréable à regarder, comme un écran, mais aussi avec des rooftops, ce large Belvédère qui donne à voir alentour, qui rappelle le panorama du Centre Pompidou sur Paris. Nous nous sommes inspirés des coursives originales en métal, conçues cette fois en bois ; nous avons créé cet escalier sur la façade, citation formelle et clin d’œil direct à la célèbre chenille, devenue le logo de Beaubourg. L’expérience du visiteur ne sera pas uniquement liée à l’art, mais aussi à la nature. L’agence RPBW [Renzo Piano Building Workshop] adhère à notre projet, qui rend hommage au Centre Pompidou et s’inscrit dans sa filiation.
La question écologique est aujourd’hui centrale. Comment l’avez-vous prise en compte ? Pour la partie paysagère, vous avez notamment sollicité les conseils de Bas Smets.
Dès 2014, le troisième numéro de STREAM portait sur ce sujet, avec pour titre : Habiter l’Anthropocène. Construire avec cette conscience de l’impact que l’on a sur les écosystèmes est au cœur de notre travail. Concrètement, comment cela se traduit-il ? Il n’y a pas de réponse unique. En termes d’émissions de CO2, certains matériaux sont plus vertueux que d’autres, c’est le cas du bois que nous avons utilisé pour toute la structure extérieure. Nous avons cependant dû composer avec les contraintes des réserves, où seul le béton bas carbone permet d’atteindre ces résultats. Des panneaux photovoltaïques sur la toiture vont permettre de produire de l’énergie. Avoir sauvegardé les arbres existants permet une continuité, de jouer avec la nature et le bâti dans son usage. Bas Smets nous a effectivement accompagné dans ce projet pour réaménager le parc, semer les graines d’un développement futur si nous trouvons le mécénat.
Le Centre Pompidou Francilien doit être livré en juillet 2026. A-t-il vocation à accueillir des expositions alors que le Centre Pompidou sera fermé pour travaux ?
Je renvoie à la réponse de Laurent Le Bon, avec brio et l’humour qu’on lui connaît : la transition est évidente, il y a un alignement des planètes ! Peu ou prou, le moment de livraison de la Fabrique de l’Art correspondra à la fermeture de Beaubourg. Il est certain que faire émerger ce lieu à ce moment permettra à l’attention de se porter sur le nouveau venu, de le faire exister dans le champ de la culture et de lui assurer une pérennité.