Un collectif artistique a piraté les QR codes d’une exposition controversée au Kunsthaus de Zurich, donnant aux visiteurs sa propre interprétation de la biographie du collectionneur Emil Georg Bührle, que le collectif décrit comme « un sympathisant nazi, un militariste autoritaire, à tout le moins un profiteur de guerre et probablement un criminel de guerre ».
Le tollé suscité par la collection Bührle a éclipsé l’ouverture de la nouvelle extension du Kunsthaus de Zurich en 2021. Le bâtiment, conçu par l’architecte britannique David Chipperfield, présente 170 œuvres impressionnistes prêtées par la Fondation Bührle. Cet industriel suisse décédé en 1956 a fait fortune en vendant des armes à l’Allemagne nazie, achetant dans le même temps des œuvres d’art spoliées par le régime nazi.
Sur son site Internet, le collectif artistique KKKK [Komitee Kunstraub Konfiskation Kommunikation (Comité Vol d’œuvres d’art Confiscation Communication)] décrit la collection Bührle comme « la version suisse d’un mémorial de l’Holocauste » et affirme qu’elle est le produit de « persécutions, d’expropriations et de meurtres ». Le collectif a exigé la restitution immédiate de toutes les œuvres de la collection qui ont été directement ou indirectement volées à des Juifs, et la vente de toutes les œuvres restantes au profit des survivants de l’Holocauste, de leurs descendants et des descendants des travailleurs réduits en esclavage par les nazis.
Les liens entre Bührle et le Kunsthaus remontent à 1940, lorsque le collectionneur est devenu membre du conseil d’administration du musée. Il a également financé une première extension, achevée en 1958. Il est incontestable que l’entreprise d’Emil Georg Bührle a vendu des canons antiaériens à l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale et qu’elle a profité d’une certaine forme d’esclavage.
Certains critiques ont affirmé que le Kunsthaus n’aurait jamais dû accepter le prêt de cette collection étant donné l’origine des fonds qui ont permis sa constitution. Ils ont également critiqué les recherches de la Fondation Bührle sur la provenance des œuvres, estimant qu’elles masquaient les circonstances dans lesquelles les œuvres avaient été acquises.
La fondation affirme qu’aucune des œuvres de la collection exposée n’a été spoliée du fait des persécutions nazies et que rien ne peut donc être restitué aux héritiers légitimes. Mais au moins une œuvre de la collection est revendiquée : la fondation a rejeté une demande de restitution du Champ de coquelicots près de Vétheuil (1879) de Claude Monet.
Une nouvelle directrice du Kunsthaus, Ann Demeester, a pris ses fonctions en janvier 2023 et s’est engagée à régler le difficile problème de la collection Bührle. La Ville et le canton de Zurich ont également mis en place une commission indépendante chargée d’examiner et d’évaluer les recherches de la Fondation Bührle sur la provenance des œuvres. L’actuelle exposition de la collection Bührle, très critiquée, sera remplacée par une nouvelle présentation en novembre, qui sera intitulée « Un avenir pour le passé. Collection Bührle : art, contexte, guerre et conflit ».
L’action des pirates informatiques « nous montre que les thèmes qui seront abordés dans la nouvelle présentation restent d’actualité, a déclaré Ann Demeester en réponse aux questions que nous lui avons adressées par courriel. Nous sommes impatients d’engager la discussion lors de l’ouverture de l’exposition. Nous travaillons sur cette dernière avec une équipe plurielle et un conseil d’experts externes. Nous avons pris contact avec le KKKK pour entamer une conversation au préalable ».