Lorsque Pascale Marthine Tayou est retourné au Cameroun pour les funérailles de sa mère en 2015, il a remarqué que quelques chaises d’église étaient endommagées et avaient été réparées. « Cela m’a fasciné qu’elles soient cassées et l’image d’un cimetière de chaises devenues inutiles est apparue dans mon esprit », explique Pascale Marthine Tayou à The Art Newspaper.
Cette vision mentale l’a incité à récupérer plusieurs centaines de chaises jetées, de formes, de tailles et de couleurs différentes, une fois de retour dans son atelier de Gand. « Les gens disaient que c’était des morceaux de plastique sans intérêt, explique Pascale Marthine Tayou, qui a féminisé l’orthographe de ses prénoms pour créer une identité hybride. Rassemblées, elles ressemblaient à un grand tableau et je les ai mis en forme comme une foule ». L’artiste a entrepris de réparer les chaises, de réassembler les parties cassées, de restaurer les accoudoirs et les pieds là où c’était nécessaire.
Née en 1966 au Cameroun et installée à Gand, en Belgique, Pascale Marthine Tayou réalise des œuvres d’art visuellement saisissantes qui abordent les domaines de la politique, du colonialisme, des migrations, de l’héritage africain, de l’éducation et de l’environnement. Ce qui caractérise son œuvre, c’est qu’elle traite de ces sujets de manière esthétiquement séduisante, à travers une profusion de couleurs qui attirent l’œil et une accumulation d’objets du quotidien. Son travail peut sembler faussement joyeux, voire enfantin. Pascale Marthine Tayou attire le visiteur plastiquement pour lui laisser ensuite un message politique qui s’installe dans son esprit.
« Le monde est comme un immense embouteillage, dit l’artiste. Comment puis-je imaginer une nouvelle forme d’embouteillage qui est plus légère, que je puisse partager dans mon espace d’exposition ? » « Pour lui, c’est trop dangereux de parler sérieusement des choses sérieuses. Il faut le faire avec beaucoup de légèreté », renchérit Stéphane Ibars, directeur artistique délégué à la Collection Lambert à Avignon.
C’est ainsi que Pascale Marthine Tayou a imaginé Plastic Chairs (2023). À l’origine, les chaises étaient disposées dans son atelier « en cercle concentrique au milieu d’un podium, comme un assemblage impénétrable », se souvient Stéphane Ibars lorsqu’il a rendu visite à l’artiste pour travailler sur son exposition « Petits Riens », à la Collection Lambert. « Je lui ai dit que j’aimerais beaucoup que les chaises viennent à Avignon », ajoute le curateur.
Pour la Collection Lambert, Pascale Marthine Tayou a reconfiguré les chaises qui languissaient dans son atelier depuis 2016-2017. Il n’avait pas trouvé l’occasion de les présenter auparavant. Le résultat est une installation de cinq groupes de chaises placées dos aux visiteurs, face aux fenêtres, excluant sa participation. Chaque ensemble porte le nom d’une conférence historique, comme celle de Berlin de 1885, au cours de laquelle les puissances européennes ont établi un cadre pour négocier leurs revendications sur l’Afrique et ont accepté d’autoriser le libre-échange entre les colonies. Le dernier groupe, la « Conférence des Petits Riens 2023 », imagine une assemblée de citoyens ordinaires, redonnant le pouvoir au peuple.
L’idée de conférences résonne avec le Festival d’Avignon qui s’est achevé le 25 juillet. « Pour chaque exposition, j’essaie de trouver un rapport au contexte et au lieu, dit l’artiste. Pour la Collection Lambert, j’ai trouvé ça intéressant de créer un dialogue avec ce festival ».
L’artiste expose aussi Oxygen (2023), une installation occupant une salle entière, composée de branches suspendues à la verrière. À l’endroit où des bourgeons et des ouvertures devraient émerger se trouvent des bouteilles en plastique récupérées dont les trous ont été réparés avec du tissu et de la couture. De loin, l’œuvre ressemble à s’y méprendre à des arbres en fleurs. De près, on se rend compte que cette œuvre évoque la pollution. « Si on bouche les ouvertures avec du plastique, les branches vont étouffer, affirme Pascale Marthine Tayou. Je ne suis pas un militant, j’exprime ce que je ressens. Cette installation parle poétiquement de ce qui se passera si nous ne faisons pas attention à faire des gestes pour l’environnement ».
L’artiste reconnaît un lien entre Oxygen et le tableau de Basquiat Asbestos (1981-1982), représentant un personnage couronné levant les mains avec fureur, œuvre qui figure dans l’exposition « La peinture est morte, vive la peinture ! » à la Collection Lambert, qui se tient jusqu’au 15 octobre 2023. « Je n’ai jamais rencontré Basquiat mais, curieusement, il a traité ce sujet, consciemment ou non, de l’homme qui tente de trouver une solution aux problèmes qu’il a causés », souligne Pascale Marthine Tayou.
Certaines nouvelles œuvres font référence à la vision utopique de Pascale Marthine Tayou. Terre Commune (2023) est une sculpture murale en terre cuite représentant un monde sans frontières. Les drapeaux de tous les pays ont été transposés dans un labyrinthe imprimé, World Labyrinthe (2023), sur le mur adjacent. Assemblés, les drapeaux sont dépourvus de tout symbolisme et apparaissent comme des motifs aux couleurs vives. « Les couleurs des drapeaux sont joyeuses, mais nous les transformons en tristesse qui pollue le monde », déclare l’artiste.
Pascale Marthine Tayou donne des significations multiples à d’autres œuvres de l’exposition, telles que Chains – de petites sculptures murales de chaînes métalliques qui réapparaissent dans plusieurs pièces. « Parce que je suis noir, les gens associent les chaînes à l’esclavage, explique l’artiste. Mais il y a aussi des chaînes contemporaines. L’économie d’aujourd’hui, la façon dont nous devons consommer des produits tous les jours, est une terrible forme d’esclavage ».
Si certaines œuvres reconfigurées sont familières, Pascale Marthine Tayou considère l’exposition comme « le début de mon travail ». « On m’a dit que j’étais quelqu’un qui créait des univers, dit-il. Mais ce que je faisais avant n’était que de la recherche, même pas le premier chapitre, juste une introduction à mon travail ».
Parallèlement à cette exposition et à « La peinture est morte, vive la peinture ! », sont présentées des sculptures et broderies d’Eva Jospin et des photographies de Louise Lawler. Des peintures de Sean Scully sont aussi dévoilées à l’occasion de la donation de sa peinture abstraite Arles Nacht Vincent (2015) à la Collection Lambert.
--
« Pascale Marthine Tayou : Petits riens », du 1er juillet au 19 novembre 2023, Collection Lambert, 5 rue Violette, 84000 Avignon