Josh Smith : Living with Depression
« Living with Depression », c’est le titre de l’exposition, et c’est aussi un tableau sur lequel ces mots sont écrits en lettres rouges sur un fond rose. À part lui, toutes les toiles de la nouvelle série sont composées dans des tons rouges, avec parfois quelques ajouts de violet, de rose ou de noir. Ce passage au rouge dépression répond aussi au dérèglement climatique et, en particulier, à de récents incendies qui ont donné au ciel de New York de drôles de couleurs.
Le défi de la monochromie semble moins compter (pas de recherche, ni d’étalage de savoir-faire) que la volonté de donner un ton, un mood à l’exposition en travaillant cette couleur-matière avec ce qu’elle porte de suggestions de chair et de feu. Les motifs varient de l’observation plate à l’exaltation juvénile et au délire, les styles et les genres du folklorique à l’abstrait et au symbolique, comme une révision de quelques grands modèles de la peinture états-unienne. C’est le pont de Queensboro ou un pentagramme, des clowns hallucinés ou un motif de camouflage. Du côté du banal, on trouve une double échelle lestée de deux grosses taches noires ; du côté de l’autoréflexivité, un superbe tableau rouge-brun gratté à la pointe du pinceau en mimant la frénésie. Sur les bords de presque tous les tableaux courent des points, des taches, des crénelages qui encadrent et ont un caractère décoratif ; façon de dire que c’est à la fois très sérieux et peut-être pas tellement. L’effet général est bien celui d’une plongée dans l’ego de l’artiste qui, comme s’il ne lui suffisait pas de jouer (comme à son habitude) avec sa signature, écrit son nom sur la bride d’un canasson de cartoon ou titre Myself un starman au regard équivoque. Voici la comédie de l’artiste inspiré, déchaîné, pour donner à penser aux critiques, et c’est comme un ensemble drôle et percutant que l’on a envie de le recevoir.
Du 2 septembre au 7 octobre 2023, David Zwirner, 108 rue Vieille-du-Temple, 75003 Paris
Hreinn Fridfinnsson : Artist in the air
Ceux qui ont confié par écrit leurs secrets à Hreinn Fridfinnsson, comme il l’a demandé pendant une trentaine d’années, les ont retrouvés en papier haché mixés tous ensemble en une élégante plaque colorée. En suspension dans l’air, dans l’art aussi, et bien gardés. Recueillir les secrets des uns ou le travail des araignées de son atelier n’est qu’une des nombreuses façons qu’a cette grande figure d’habiter le monde en artiste.
Épris de physique et de mathématique, préoccupé par l’essence du temps, il traite ces grandes questions par les sens et le sentiment. C’est une photo qui montre le spectre lumineux projeté sur la main de l’artiste à l’aide d’un prisme. C’est aussi une longue ligne horizontale qui part de quatre grandes barres verticales alternativement noires et blanches. Figurent de nombreux jeux de symétrie, toujours en noir et blanc, à l’intérieur de cercles et au bout un cercle coloré emprunté à Runge. Dans ce vrai-faux exercice pédagogique sur la lumière et la géométrie, nourri du Bauhaus et du Romantisme, est glissée une séquence de photos de couples qui dansent. Le goût de la science de Fridfinnsson ne saurait se passer de la célébration des sens. Chez lui, la flèche et la plume se rejoignent quelque part dans le ciel de la galerie, et avec elles le sentiment donné au spectateur que les choses s’écrivent sous ses yeux et avec lui. Visiter cette exposition, c’est sauter d’une inspiration à une autre, se laisser dérouter et sourire souvent.
Du 2 septembre au 26 octobre 2023, Galerie Papillon, 13, rue Chapon, 75003 Paris
Laurent Proux : Sunburn
C’est une belle idée que de commencer « Sunburn » par une œuvre de la même année mais qui se rattache à une série plus ancienne. Donc, une vue d’un atelier de confection avec des visages durs, fermés, presque caricaturaux. Un hommage distancié à une certaine peinture sociale et l’occasion de morceaux de peinture libre à partir des étoffes ou même d’un tableau dans le tableau.
Puis, un saut dans un aujourd’hui brûlant, une peinture stylisée et idéalisée des plaisirs du plein air en différentes heures de l’après-midi, avec de beaux effets de lumière. Scènes d’une extrême sensualité plus que franchement érotiques : corps étirés avec une souplesse surnaturelle, qui s’unissent autour de modernes incarnations de Myrrha, qui se plaisent à se glisser sous des draps, à la recherche du fameux petit « a ». Bacchanales, pastorales, rites initiatiques, scène de bataille peut-être, ce n’est jamais tout à fait l’un ou l’autre.
Laurent Proux s’est nourri de grands modèles sans prétendre les tutoyer et sans verser dans le pastiche. Sa rêverie semble née du sommeil de l’Endymion de Girodet, mais elle s’enracine, si l’on peut dire, dans son époque, et ne craint pas l’étrangeté drolatique, comme dans ce cadrage serré sur une tête au sol (et une main) de vaincu prise entre deux vigoureux et rayonnants mollets. Un sens du merveilleux baigné de traits d’humour, quelque chose de risqué et d’aventureux en attendant la prochaine série.
Du 2 septembre au 7 octobre 2023, Semiose, 44, rue Quincampoix, 75004 Paris
Ana Mazzei : Love Scene, Crime Scene
Ana Mazzei a conçu son exposition véritablement en deux temps. La première salle part d’une vidéo de deux danseurs à masque d’oiseau et en tutu sur une guitare électrique minimaliste, une tête de mannequin au sol surmontée d’un corbeau empaillé qui tourne. Dans le fond, au mur, se trouve une composition bleu-sombre et noir en blocs de bois découpés, une figure de la nuit surmontée d’un croissant de lune. C’est comme un prélude dramatique.
De l’autre côté, en réponse, une autre composition murale en bois découpés dans des tons de jaune et une figure solaire. À côté d’elle, figurent des sculptures sur des socles, des découpes biomorphiques colorées portées par des structures en bois, mais aussi des décors de théâtre en format de maquette avec visage ou cheval en bronze. Une minuscule sculpture en bronze, du genre surréaliste, bouleverse, nous fait glisser du côté d’Alice. Des références visuelles viennent naturellement à l’esprit, de Fausto Melotti à Isamu Noguchi. En même temps qu’elle développe une démarche très actuelle avec, au centre, l’œuvre entendue comme accessoire de performances et comme support de fictions, Ana Mazzei choisit de se placer et de se déplacer dans l’histoire. Cette réunion de pièces dont l’abondance d’abord surprend, est une façon d’offrir un spectacle d’objets dans la tradition du théâtre, à l’encontre du modèle dit scénographique des expositions moderne. En ce sens, elle tient du manifeste et de l’allégorie.
Du 2 septembre au 23 septembre, gb agency, en collaboration avec Galeria Jaqueline Martins, 18, rue des Quatre-Fils, 75003 Paris