Marina De Caro : Movimientos para guiar el desconcierto
Marina De Caro est sculptrice, peintre, performeuse, photographe et se mêle aussi de spectacle vivant. Avec un petit groupe d’artistes et de théoriciennes, elle a fondé le « Cromoactivismo » qui invente des manières de manifester et d’agir par et avec la couleur.
Ces « mouvements pour guider le déconcertement » offrent une large plongée dans son univers. On retient tout d’abord les Hormigas (fourmis), une dizaine de gros boudins en textile colorés suspendus du haut en bas de la cage d’escalier. Cette pièce, l’artiste ne se lasse pas de la réactualiser, parce qu’elle est sa façon de s’opposer à l’architecture et qu’elle a vocation à voyager. Elle s’accorde ici particulièrement bien avec les Navettes, treize peintures bifaces sur des grandes feuilles de papier cousues au contour flottant. Le tableau n’est qu’une référence lointaine pour ce qui définit avant tout un espace de déambulation et une façon d’appréhender la couleur par le corps. Tant les Navettes que les Hormigas semblent en appeler à un public ou, mieux, à une communauté.
On découvre une autre facette dans des encres, gouaches, photos de performance, dans un esprit que l’on qualifierait de magique. Au centre de l’ultime étape d’un parcours savamment orchestré, figure la photo d’un corps retourné dans une combinaison textile noir et blanc. À mi-chemin de l’animal et du végétal, les bras s’étalant comme des racines, l’image fait comme un salut aux Hormigas.
Du 8 septembre au 27 octobre 2023, In Situ - fabienne leclerc, 43, rue de la Commune de Paris, 93230 Romainville
Sam Durant
Pour sa première exposition parisienne depuis des lustres, Sam Durant entrecroise travail d’activiste et travail d’archiviste, les deux étant étroitement liés. D’un côté figurent des dessins en noir et blanc d’après des photographies de manifestations faisant suite à des attentats racistes et homophobes – un éclat coloré à la bombe pour rehausser et donner la mesure d’une participation. Sur des caissons lumineux sont repris les slogans : « Love is louder », « Open your eyes ». Il s’agit du refus de l’exploitation du combat politique mais peut-être aussi du témoignage d’une certaine usure face à la répétition des mêmes actes qui entraînent les mêmes réponses nécessaires et fragiles.
D’un autre côté, est présentée une série de collages et de découpages à partir de photos de statues vandalisées ou abattues. Les époques, les continents se mêlent, à côté de répertoires de figures ou de détails (oreilles et nez, bottes et bouches…), de subtiles superpositions sur papier japon. La figure de Lénine, celle de ses proches ou de son successeur, sont, qui s’en étonnerait, omniprésentes. Ce retour vers une fin du XXe siècle libératrice porte sa part de mélancolie, mais reste en phase avec l’actualité. Outre que la pratique du déboulonnage des statues s’est exportée dans les vieilles démocraties, on vient d’apprendre la réérection à Moscou de la statue du fondateur de la Tchéka [la police politique bolchevique]. Ces règlements de compte avec l’histoire, cette guerre des représentations résonnent étrangement avec une pratique du collage qui doit plus à Rauschenberg qu’à Rodtchenko, mais qui est en partie portée par le souffle des révolutions.
Du 16 septembre au 10 novembre 2023, Praz-Delavallade, 5, rue des Haudriettes, 75003 Paris
Maya-Inès Touam : « Les Choses qui restent »
Pour cette première grande exposition en solo, Maya-Inès Touam s’est donné deux grandes sources d’inspiration : Matisse et la nature morte hollandaise ou française du XVIIe siècle. Deux manières de se lier à la peinture et d’interpréter les maîtres depuis la situation d’une petite-fille d’émigrés.
Dans ses natures mortes, elle met en scène la rencontre d’objets rares et précieux et du couscoussier ou du broc en plastique de bazar. Le travail de restitution des couleurs et des jeux de lumière est assez bluffant, mais cela ne s’arrête pas là. Les objets pauvres, à peu près d’aujourd’hui, font mieux que réussir leur intégration dans la peinture ancienne, ils sont vecteurs d’émotions. Un exemple : sur une table à côté d’éditions anciennes de Voltaire et d’Hugo, d’une tulipe et de quelques accessoires, apparaissent deux cassettes audio, dont une un peu salie. Le texte sur les cassettes est en arabe, et la lumière leur donne une sorte de patine. Un retour de mémoire, une musique qui se lit, et s’entend peut-être, pour certains, bien dans l’esprit énigmatique.
Du côté de Matisse, l’interprétation libre prévaut sur la reconstitution : composition d’objets blancs, de découpes de monstera, et d’un masque africain, sur fond de papiers damassé qui enchantent le quotidien sans chercher à trop l’embellir, mais surtout une actualisation d’Icare. Dans la version de Maya-Inès Touam, il devient Icare, le revenant, un migrant en pantalon de treillis, sur fond bleu nocturne, entre ciel et eau. La référence picturale ne charge pas, elle libère.
Du 14 septembre au 28 octobre 2023 (fermée jusqu’au 6 octobre inclus), Les Filles du Calvaire, 17, rue des Filles du Calvaire, 75003 Paris
Sidsel Meineche Hansen : Missionary
Cette exposition est pensée en deux parties par Sidsel Meineche Hansen, l’autre se tenant parallèlement à la Company Gallery à New York [15 septembre - 28 octobre 2023]. Dans les deux, on trouve une série de Hooks, des pièces en acier ou en bronze, de différentes tailles, forgées ou moulées sur le modèle d’anciens doubles crochets à viande. Dans les deux est projeté Baby Jesus (2023), sur une communauté de sœurs du sud de l’Angleterre, réalisé avec Therese Henningsen. À Paris, il y a aussi un mur, ou plutôt un retour en mur, fait de briques posées par l’artiste (de la série Home vs Owner) et qui équivaut à une prise de possession de l’espace.
Dans Baby Jesus, film rare d’une quinzaine de minutes, des sœurs nous parlent d’elles, de leur choix de vie et des manques qu’elles peuvent éprouver. L’une d’entre elles produit des figurines ou statuettes moulées de l’enfant Jésus. Le moulage, la dévotion font écho aux thèmes qu’on trouve généralement dans le travail de Sidsel Meineche Hansen. Les crochets, fruits du travail de la main, ressemblent aussi à des ancres et ont un rôle d’éléments structurants. Des spéculations féministes, queer, post-humaines qui font l’identité de l’œuvre de l’artiste, on glisse dans cette exposition dépouillée vers une méditation sur l’existence. Mais ces crochets accrochés sont aussi travaillés par l’absence de chair ou de tableau et peuvent laisser entendre qu’à l’instar de Duchamp, Sidsel Meineche Hansen n’a pas la religion de l’art.
Du 2 septembre au 7 octobre 2023, Galerie Édouard Montassut, 61 rue du Faubourg Poissonnière, 75009 Paris