Agnès Thurnauer : Pariétales
On se souvient des Matrices Chromatiques, sièges en forme de moules à lettres en deux ou trois parties, œuvres fonctionnelles qu’Agnès Thurnauer avait montrées au musée de l’Orangerie à Paris. De ces morceaux de lettres, elle avait tiré des scans, formes géométriques irrégulières qui imprimées en couleur couraient le long des pages de Cher Henri, cinquante lettres adressées à Matisse et publiées à l’occasion d’une exposition en son musée niçois, il y a tout juste un an. Une façon de lier l’écriture et les gouaches découpées de Matisse, de trouver un moyen de faire raccord.
Aujourd’hui, ces formes se retrouvent assemblées dans les Tablettes (titre choisi par référence à Sumer), dans une gamme matissienne augmentée de quelques couleurs sourdes, sur fond blanc. Un grand dessin les a précédées, superposition de contours qui peut aussi bien évoquer un patron de couture qu’une partition de danse. Danse, le mot se trouve écrit avec des morceaux d’adhésif sur une toile avec des motifs (flèches, hachures) qui citent Martin Barré. Écriture, danse, partition, tout est dit et redit ou transposé dans les Figures, reprise des lettres fragmentaires en shaped canvas dispersés sur le plus haut des murs et un peu à côté. La shaped canvas, non pas comme citation d’un moment historique, mais comme une façon de poursuivre le jeu entamé avec les mots au sol, de circuler entre bi- et tri-dimensionnalité et de tendre au mural. L’artiste trace ainsi son propre chemin à travers une histoire de l’abstraction. Conversation avec elle-même, Henri et quelques autres encore, mais qui s’adresse aussi à nous.
Du 12 octobre au 25 novembre 2023, Galerie Michel Rein, 42 rue de Turenne, 75003 Paris
Guadalupe Maravilla : La Alegría del Fuego
Après une enfance dans un Salvador en proie à la guerre civile, Guadalupe Maravilla a pu émigrer aux États-Unis en 1986, à l’âge de 8 ans, et acquérir la citoyenneté américaine. Le récit de sa pérégrination à travers l’Amérique centrale pour se rendre aux États-Unis est documenté, par l’image et l’écrit, dans la série des Retablos. Au centre de ces œuvres, figurent des peintures sur bois réalisées par des artistes spécialisés dans la confection d’images votives. Des torsades et entrelacs de coton et de colle, des branches d’arbres transformées en serpents, et divers objets entourant ces peintures. Guadalupe Maravilla se voit avant tout comme un guérisseur, lui-même luttant contre le cancer. Si son travail emprunte la route et les circuits de l’art, il en déborde largement vers la spiritualité, l’anthropologie sociale, la politique. Des motifs abstraits peints en certains endroits sur les murs sont le résultat d’une performance exécutée avec un immigré.
Dans un film, nous suivons la transformation d’un vieux bus scolaire états-unien acheté au Mexique en une sculpture extravagante chargée d’énergie positive par l’intervention et la bénédiction d’un authentique chaman. Le bus vidé et transfiguré trouvera son premier espace d’accueil à l’ICA de Boston.
Dans de la pierre volcanique ont été sculptés des épis de maïs, un sac à dos d’immigrant avec ses câbles USB ou l’émoji d’un poing fermé. Un mix des cultures doux-amer qui parle pour la violence de la transplantation, la fascination pour les civilisations disparues et l’indifférence à la condition des héritiers de celles-ci.
Du 7 octobre au 18 novembre 2023, Galerie mor charpentier, 61 rue de Bretagne, 75003 Paris
Gina Fischli - Mike Kelley
En parallèle à la présentation d’une magistrale et corrosive installation de Mike Kelley (Liquid Diet, 1989-2006), la galerie présente une exposition de sculptures de Gina Fischli. L’installation de Kelley est un triste et mélodieux délire orchestré autour du mouvement protestataire des prisonniers irlandais au début des années 1980, et de leurs badigeonnages excrémentiels sur les murs des prisons. Images de télévisions, ballade irlandaise, et déclinaisons du motif du trèfle autour d’une table où gisent des verres à demi remplis d’un liquide sombre qui fut peut-être un jour de la bière. Une des cloisons est peinte dans la gamme de couleurs des Seagram Paintings de Rothko (celles-ci prévues à l’origine pour un restaurant).
En regard de cette diète liquide, l’ambiance de l’installation de Gina Fishli semble de prime abord d’une franche gaieté. L’artiste poursuit sa série de gâteaux en plâtre et matériaux divers inspirés de châteaux de contes de fées avec beaucoup d’enthousiasme et ce qu’il faut d’approximation. Les sculptures portent des noms de châteaux célèbres avec lesquels ils n’ont semble-t-il que quelques traits de ressemblance. Il est vrai que Balmoral, pas plus que le château de Blanche-Neige, ne peut se résumer à une tour pointue. Une part d’abstraction ou d’idéalisation figure apparemment dans les recettes. Ces gâteaux ambitieux, de ceux qu’on fabrique pour les très grandes occasions, sont enrichis parfois de pièces de monnaie, de feuilles d’aluminium froissé comme pour exagérer l’aspect grand chef. Ces sculptures sont l’expression d’un rêve, celui du pâtissier qui, en s’approchant de l’art, découvre le process.
Dans cet univers glorieux où le flamboyant tient la main au désastre, de grandes photos prises dans des hôtels ou restaurants de luxe font un décor. C’est une triste table d’après-banquet avec un fond de rouge dans un verre ou deux, un regard décalé sur des lustres chics, une vue en plongée tremblante dans les escaliers. Happy Something !
Du 13 octobre au 10 novembre 2023, Galerie Hussenot, 5 bis rue des Haudriettes, 75003 Paris
Anne-Charlotte Finel : Règnes
Dans ses vidéos et ses photographies, Anne-Charlotte Finel privilégie les heures entre chien et loup et les sujets animaux. Dans sa manière de filmer, elle vise l’effacement, avec une volonté d’être au plus près de ses non-acteurs.
Sol et Respiro, les deux films enchaînés ouvrent l’exposition sur un écran suspendu et dans une salle très sombre. C’est une plongée dans une atmosphère plus qu’une expérience de cinéma. Quand elle filme la carapace d’un crocodile (Respiro), Anne-Charlotte Finel semble se laisser dévorer par son sujet. Les écailles ont des reflets bleutés et suggèrent un interrègne entre animal et minéral. Quand elle plonge dans des grottes préhistoriques, l’artiste accomplit un rêve de cinéma underground : retour à la préhistoire des images. Ce sont les ailes des chauves-souris qui confèrent à l’image électronique le battement du cinématographe. La bande sonore électro de Voiski aux accents naturels participe de l’envoûtement. Derrière cet écran, une cloison et au dos de cette cloison, la projection d’un autre film : une gigantesque toile d’araignée sous le soleil. Un cinéma texturel qui ménage une transition avant d’aborder la deuxième partie de l’exposition exclusivement photographique.
Cette dernière révèle d’autres façons d’approcher un crocodile, de saisir le vol d’une aigrette. On voit aussi l’image d’un ver à soie imprimé sur soie, célébration du travail et autre approche de l’écran.
Du 7 octobre au 11 novembre 2023, Galerie Jousse Entreprise, 6 rue Saint-Claude, 75003 Paris