Après Frieze Seoul début septembre, l’édition du 20e anniversaire de Frieze London (11-15 octobre) puis la 2e itération de Paris+ par Art Basel (13-22 octobre) constituent les deux prochaines étapes du calendrier du marché de l’art. Depuis des décennies, Londres domine le marché en Europe. Mais aujourd’hui, sept ans après le vote pour le retrait de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, il se concentre sur Paris. La scène des galeries parisiennes se renforce. Les enseignes David Zwirner, Gagosian et White Cube ont toutes ouvert des succursales dans la Ville Lumière, stimulant ainsi le marché parisien. Hauser & Wirth, qui inaugure le 14 octobre 2023 une imposante galerie de 800 m2 sur quatre étages, fait partie des installations les plus récentes. Même Stuart Shave implante à Paris une antenne de sa galerie Modern Art mi-octobre 2023 (elle ne sera ouverte dans un premier temps que sur rendez-vous).
LE MARCHÉ DE L’ART LONDONIEN SUBIT-IL LE BREXIT ?
Pendant ce temps, à Londres, nombre de grands marchands, tels Pilar Corrias, Stephen Friedman ou Alison Jacques, ouvrent de nouveaux espaces prestigieux dans le quartier de Mayfair, pendant la Foire Frieze. Pilar Corrias, qui représente plusieurs artistes femmes, affirme que « l’écart entre Londres et Paris est encore énorme ». Pour elle, Londres est une ville plus « ouverte sur l’extérieur »; ses galeries et ses institutions attirent un « public vraiment international ». Elle ajoute, quant au Brexit : « Je ne le vois pas du tout comme un problème. » De son côté, Stuart Shave assure également que le Brexit « n’a pas affecté de manière perceptible les ventes à Londres ». Selon lui, il a seulement rendu le travail administratif plus difficile.
Toutefois, dans un document déposé en juillet auprès de la Companies House (l’équivalent du registre du commerce français), Sotheby’s, qui prévoit d’inaugurer une nouvelle salle de ventes de premier plan à Paris en 2024, pointe les impôts supplémentaires, les coûts administratifs et autres formalités subies à la suite du Brexit et leur « impact négatif sur l’attrait de la vente de biens au Royaume-Uni ». Le produit de ses ventes en Grande-Bretagne a d’ailleurs chuté de 24 % en 2022. Les résultats de Sotheby’s contrastent avec le dernier rapport sur le marché de l’art publié par la société de services financiers UBS et Art Basel, qui a classé le Royaume-Uni au 2e rang mondial en 2022, avec 18 % de parts de marché, contre 7 % pour la France, qui occupe la 4e place. Il n’existe pas de données fiables sur les ventes des marchands privés, ce qui rend difficiles les comparaisons significatives entre les pays en matière de commerce de l’art. Toutefois, ces chiffres témoignent de la vigueur persistante des ventes aux enchères haut de gamme à Londres.
Ces derniers temps, Paris et Londres ont évolué dans des directions opposées dans le domaine des foires. En janvier, le groupe suisse MCH, propriétaire d’Art Basel et organisateur de Paris+, a annoncé qu’il renonçait à la Foire londonienne Masterpiece prévue en juin, face à « l’escalade des coûts et la diminution du nombre d’exposants internationaux ». Entretemps, l’édition inaugurale de Paris+, en octobre 2022, a suscité un climat positif dans la capitale française. La Galerie 1900-2000 a vendu dix œuvres entre 3 000 et 100 000 euros dans les deux premières heures de la Foire, tandis que les ventes du mégagaleriste David Zwirner ont atteint 11 millions de
dollars (12,8 millions d’euros) le premier jour.
DEUX PLACES CONCURRENTES
Frieze London et Paris+ sont sans conteste, pour chaque ville, les locomotives de semaines intenses au cours desquelles des foires satellites de grande qualité, des présentations de marchands, des ventes aux enchères et des expositions muséales sont proposées. Mais de plus en plus d’acteurs du marché se comportent comme si la ville de Paris, et pas seulement sa « Paris+ Week », était plus que jamais en concurrence avec Londres.
Ainsi, Heather Flow, conseillère new-yorkaise spécialisée dans les artistes émergents, se rend-elle à Paris avec ses clients en octobre, mais pas à Londres. « Paris est une [destination aisée] pour le reste de l’Europe, et elle est plus abordable. Je n’y vais pas tant pour les galeries que pour les espaces pop-up qui font des choses étonnantes », dit-elle. Mais qu’en est-il de Londres ? « Il y a tellement de barrières qui rendent les transactions difficiles, ajoute-t-elle. Je connais plus d’artistes qui ont déménagé à Paris qu’à Londres. » « Paris va sans doute prendre la place de Londres. Il est plus facile de faire des affaires avec le reste du monde depuis Paris, où il y a aussi plus de galeries émergentes. C’est un hot spot », résume le Français Cyril
Moumen, fondateur de la Gallery Nosco qui, avant de s’installer Marseille puis à Bruxelles, a travaillé vingt-trois ans à Londres. « Les choses sont devenues très compliquées pour le transport et les importations temporaires », explique le galeriste, lequel participe cependant ce mois d’octobre à la Foire 1-54 à Londres, qui garde de l’attrait pour lui.
Par ailleurs, les grandes fortunes internationales s’arrêtent ou résident encore à Londres, soutenant directement ou indirectement les professionnels qui vendent des œuvres d’art de grande valeur. Selon le portail Statista, Londres compte actuellement 87 résidents milliardaires, soit la cinquième plus forte concentration de toutes les villes du monde, quand Paris n’en dénombre que 49. Il n’est donc pas surprenant que ce soit à Londres que le portrait de Gustav Klimt, Dame mit Fächer (Dame à l’éventail, 1917-1918), ait établi le record de l’œuvre d’art la plus chère (85,3 millions de livres sterling, soit 98 millions d’euros, chez Sotheby’s en juin 2023) vendue aux enchères en Europe.
Hormis cette envolée, la domination de Londres sur les enchères en Europe semble s’amenuiser. La Grande-Bretagne a « froncé les sourcils » lorsque Sotheby’s a annoncé que sa prochaine vente de 300 œuvres d’art contemporain et de design appartenant à la collectionneuse britannique Pauline Karpidas se tiendrait à Paris. La vue de tant d’œuvres d’art britanniques proposées rue du Faubourg-Saint-Honoré semble montrer que la Ville Lumière récolte décidément de plus en plus
les bénéfices du Brexit…
-
Frieze London & Frieze Masters, 11-15 octobre 2023.
Paris+ par Art Basel, 20-22 octobre 2023.