Après Frieze London et Paris + par Art Basel le mois dernier, une autre foire européenne de premier plan teste le marché en ces temps tumultueux. À Turin, Artissima, la principale foire d’art contemporain d’Italie, a ouvert hier sa 30e édition (jusqu’au 5 novembre 2023), à laquelle participent 181 galeries, dont 79 italiennes.
Les événements géopolitiques, notamment la tragédie de la guerre entre Israël et le Hamas et la guerre en cours en Ukraine, sont une source d’inquiétude pour les visiteurs de la foire. « Nous pouvons ressentir de l’instabilité dans le secteur de l’art. Les six prochains mois seront difficiles. [Toutefois], tout va bien pour nous et ce sera une bonne année », déclare un porte-parole de la galerie Thomas Brambilla à Bergame. La galerie a participé aux dix dernières éditions de la foire et, à la fin de l’avant-première VIP le 2 novembre, elle avait vendu des œuvres de Maggi Hambling et une sculpture de Bryan Hunt, ainsi qu’une peinture de John Giorno à un collectionneur privé basé en Italie pour 35 000 euros. Des collectionneurs brésiliens et allemands étaient également présents, selon le porte-parole de la galerie.
Ce contexte agité affecte le marché de plusieurs manières. « Le ralentissement des ventes aux enchères est également positif car il signifie que le paysage [des acheteurs] est dégagé et qu’il réduit le nombre des acquéreurs qui ne font que spéculer », déclare Vincenzo Della Corte, de la galerie Vin Vin, qui gère des espaces à Naples et à Vienne. La galerie propose des œuvres de l’artiste nigérian Jamiu Agboke, basé à Londres, entre 5 000 et 30 000 euros (une œuvre de grande taille a été vendue à une « très importante collection internationale » pour 20 000 euros).
« Quelque chose est déjà visible en termes de collectionneurs, explique plus inquiet Fabrizio Padovani, de la galerie P420 de Bologne. Frieze London et Paris Internationale n’ont pas été aussi effervescentes que l’année dernière. La conjoncture économique générale est incertaine, surtout en ce qui concerne la hausse des taux d’intérêt. » Le taux directeur de la Banque centrale européenne est de 4 % (il a connu une pause en octobre après dix hausses consécutives).
Paola Biasutti, de la galerie Biasutti & Biasutti de Turin, dit qu’elle a surtout vu des collectionneurs italiens sur Artissima cette année. « Les gens ressentent cette situation, mais il est trop tôt pour juger des conséquences économiques ; de nombreux collectionneurs ne semblent pas inquiets », nous a-t-elle déclaré. La galerie, qui a consacré son stand aux artistes de l’arte povera, a vendu Manifesto (1967) d’Alighiero Boetti à un collectionneur italien. Deux œuvres de Gianni Piacentino sont proposées à 22 000 et 30 000 euros.
Le marchand Thomas Dane, basé à Londres, a une bonne connaissance du marché italien, puisqu’il a ouvert une galerie à Naples en 2018. « Participer à une foire italienne a beaucoup plus de sens pour nous maintenant que nous avons une galerie en Italie. Artissima est la meilleure des foires italiennes », explique-t-il. À la fin de la première journée, il avait déjà vendu plusieurs œuvres de l’artiste londonien Jake Grewal.
Les ventes ont en effet été assez rapides, une photographie d’Helena Almeida à la Galeria Francisco Fino (Experiência do lugar II, 2004) figurant parmi les œuvres les plus chères. Elle a été acquise 100 000 euros par une collection privée européenne. Les ventes à des prix inférieurs ont été nombreuses. La galerie Mazzoleni a vendu deux collages de Marinella Senatore (Opera !, 2023) entre 15 000 et 18 000 euros. La galerie a également vendu We Rise by Lifting Others (2023) de la même artiste, composée d’ampoules LED, pour environ 60 000 euros.
Des galeries de 33 pays participent à Artissima cette année, dont 39 pour la première fois, parmi lesquelles Cristina Guerra (Lisbonne) et Raster (Varsovie). La foire est-elle donc devenue un acteur majeur de la scène internationale ou plutôt un événement régional de premier plan ? 60 % des galeries participantes ne sont pas italiennes, affirme Luigi Fassi, le directeur du Salon, qui insiste sur le caractère international de l’événement.
« C’est une tendance qui se poursuit depuis des années. La foire est très attrayante pour une génération de galeries issues des marchés internationaux… Mais c’est une foire italienne et nous en sommes fiers : toute la scène italienne s’y retrouve, des directeurs de musée aux collectionneurs en passant par les journalistes. On peut dire que la foire sert de pont entre la scène italienne et la scène internationale », estime-t-il.
Luigi Fassi souligne que l’organisation d’Artissima est supervisée par Artissima srl, une société affiliée à la Fondazione Torino Musei. « Nous n’appartenons pas à un groupe international ou commercial. Notre marque Artissima appartient entièrement à la Città di Torino, à la Regione Piemonte et à la Città Metropolitana di Torino. C’est aussi la raison pour laquelle nous pouvons maintenir les prix [des stands] à un niveau raisonnable », ajoute-t-il.
La foire répond parfaitement à la notion de « Relations of Care », définie par un texte de 2022 de l’universitaire Renzo Taddei. « Il s’agit d’une foire d’art à échelle humaine. Il ne s’agit pas de valeurs sûres, il s’agit de rechercher des valeurs et des découvertes », précise Luigi Fassi. Et quel point de vue porte-t-il sur l’actualité mondiale ? « Ce que je vois, c’est un sentiment de soulagement [à Artissima] – passer quelques jours dans un environnement humain, passer du temps de qualité ensemble et voir d’excellentes expositions en ville. Il y a peut-être un peu d’espoir que les choses s’améliorent si nous pouvons nous parler [et échanger] nos idées ».
Artissima 2023, du 3 au 5 novembre 2023, OVAL Lingotto Fiere, via Giacomo Mattè Trucco, 70, Turin, Italie