Sotheby’s a injecté une modeste mais nécessaire dose de stabilité dans la saison des ventes d’automne à New York le 8 novembre 2023 avec sa vente du soir d’œuvres de la collection de la défunte mécène du Whitney Museum of American Art, Emily Fisher Landau.
Outre l’établissement de nouveaux records pour deux « artistes d’artistes » de premier ordre, dans la fourchette de 10 à 20 millions de dollars, cette dispersion n’a pas été source de surprise. La maison de ventes a obtenu un total de 351,6 millions de dollars (406,4 millions de dollars avec les frais), dans la fourchette des estimations de 344,5 à 430,1 millions de dollars (calculée sans les frais).
Environ un tiers de cette somme provient du portrait de Marie-Thérèse Walter, Femme à la montre, réalisé par Pablo Picasso en 1932, que l’auctionneer Oliver Barker a adjugé à 121 millions de dollars (139,4 millions de dollars avec les frais), atteignant ainsi l’objectif non public d’avant la vente, à savoir « plus de » 120 millions de dollars. Contrairement à la relation entre Pablo Picasso et Marie-Thérèse Walter, cette affaire s’est terminée en moins de trois minutes, Oliver Barker ayant passé une minute à amadouer l’enchérisseur final pour qu’il offre le dernier million de dollars, et une autre minute à décider qu’aucune autre enchère ne proviendrait du public nombreux.
9 des 31 lots proposés ont trouvé preneur à des montants de 10 millions de dollars ou plus. 3 œuvres, dont le Picasso, ont dépassé le seuil des 30 millions de dollars, même sans les frais acheteur. Le marteau est tombé pour la première, Flags (1986) de Jasper Johns, qui a atteint 37 millions de dollars (41 millions avec les frais) après moins de deux minutes d’enchères. L’insolente peinture de mots de 1964 d’Ed Ruscha, Securing the Last Letter (Boss), a atteint 34 millions de dollars (39,4 millions avec les frais), mais a été vendue juste en dessous de son estimation basse de 35 millions de dollars.
Sotheby’s avait des garanties pour les 31 lots de la vente, ce qui signifie qu’il s’agissait d’une vente assurée pour toutes les œuvres, quel que soit le succès des enchères. Faits plus remarquables encore, 25 des 31 lots étaient soutenus par des tiers au moment de leur mise en vente. Les estimations basses de ces 25 œuvres ont totalisé 297,3 millions de dollars, soit 86,3 % en valeur de l’estimation basse globale des 344,5 millions de dollars avant la vente.
« En fait, il y avait tellement de risques qu’ils n’en ont laissé aucun », a déclaré après la vente Wendy Cromwell, conseillère à New York, à propos de la stratégie de garanties de la maison.
Les deux tiers des œuvres proposées dans le cadre de la vente ont été cédées dans la fourchette de leur estimation, soit 21 en comptant le Picasso.
Il s’agit sans doute d’un changement par rapport au cycle des ventes aux enchères du printemps à New York. Des professionnels estiment en effet que les trois principales maisons de ventes aux enchères avaient poussé leurs estimations trop loin, au-delà de la demande, dans le but de séduire les collectionneurs. En d’autres termes, les promesses excessives faites pour obtenir des pièces en consignation ont trop souvent conduit à des enchères insuffisantes.
« Nous essayons toujours de fixer les estimations de manière intelligente et stratégique. C’est un exercice d’équilibre entre le reflet du marché et de son évolution, mais nous sommes souvent confrontés à des pièces si incroyables qu’elles n’ont pas de précédent, explique David Galperin, responsable de l’art contemporain pour les Amériques chez Sotheby’s. Il faut donc se référer aux informations du marché, mais aussi faire appel à son instinct pour prendre des décisions. »
Deux des œuvres sans précédent mentionnées par David Galperin ont établi de nouveaux records de vente aux enchères pour des artistes de premier plan : 11,8 millions de dollars (avec les frais) pour Triumph Over Mastery II (1987) de Mark Tansey, adjugé à 10 millions de dollars ; et 18,7 millions de dollars (avec les frais) pour Grey Stone II (1961), une peinture quadrillée précoce d’Agnes Martin, adjugée à 16 millions de dollars. Les deux œuvres ont été au centre de batailles d’enchères qui ont duré entre cinq et dix minutes chacune.
Mais l’absence de précédent a parfois joué en défaveur de la maison.
Bien que la vente soit « en gants blancs », 100 % des lots proposés ayant trouvé preneur, il y a eu au moins deux cas où Sotheby’s et les consignateurs se sont mis d’accord pour vendre à des prix nettement inférieurs à ceux auxquels on aurait pu s’attendre sur la base des fourchettes d’estimation publiées. Les prix de réserve, c’est-à-dire les montants minimums auxquels les lots sont autorisés à être cédés, ne sont généralement connus que des parties directement impliquées dans les transactions.
La peinture sans titre de 1958 de Mark Rothko, issue de sa série des Seagram Murals, première toile de ce corpus à être vendue aux enchères, a été adjugée à 19 millions de dollars (22,2 millions avec les frais), soit moins des deux tiers de l’estimation basse de 30 millions de dollars. Une sérigraphie de Robert Rauschenberg, Sundog (1962), a été adjugée à 4 millions de dollars (4,9 millions avec les frais), soit la moitié de l’estimation basse de 8 millions de dollars.
« C’est ce que j’appelle un vrai marché, déclare David Galperin. Vous avez vu ce soir des œuvres qui se sont envolées bien au-delà des estimations, et quelques pièces vendues en dessous des estimations. Dans tout marché animé par de vrais collectionneurs, il y a toujours une échelle de prix. »
« Sur la base de cette session de ventes, les estimations ont été un excellent baromètre de la valeur réelle des œuvres », déclare Wendy Cromwell, suggérant que la correction du marché, dont on a beaucoup parlé, pourrait déjà contribuer à ramener les objectifs d’avant la vente à un niveau plus proche des limites réelles des acheteurs. Cependant, Wendy Cromwell et d’autres professionnels du marché s’accordent à dire qu’il est encore trop tôt pour se prononcer avec certitude.
« Nous sommes très satisfaits de notre niveau [après avoir réalisé] 400 millions de dollars pour 31 lots en une seule vente du soir, ajoute David Galperin, alors que les ventes du soir d’art moderne et contemporain et « The Now » se dérouleront la semaine prochaine chez Sotheby’s. Mais comme nous l’avons vu ces dernières années, nous avons affaire à un marché très intelligent et sélectif. »