Valence, nouvelle destination arty ? Depuis le 11 novembre, la troisième ville d’Espagne s’est dotée d’une nouvelle institution d’art contemporain, le Centro de Arte Hortensia Herrero (CAHH). Bien pensée, elle ne marche pas sur les plates-bandes de l’IVAM, à la programmation pointue, ni du CCCC, plus éclectique et régional. Son propos : un best of des grandes figures de l’art contemporain, de Miquel Barceló à Anselm Kiefer, d’Anish Kapoor à David Hockney. Rien à voir non plus avec l’architecture démonstrative de la Cité des arts et des sciences signée Calatrava, en bordure du centre-ville, où la Fundación Hortensia Herrero avait présenté en 2018 une exposition en plein air de sculptures de Tony Cragg. Le CAHH a pris place dans un ancien palais superbement réaménagé par ERRE Arquitectura, en plein cœur de la cité, pour toucher plus de visiteurs, sur une surface totale d’exposition de 3 500 m2 répartis sur le bâtiment historique et sur l’extension.
À l’origine de cette collection se trouve Hortensia Herrero, vice-présidente du groupe de supermarchés Mercadonia, et présidente de la fondation portant son nom. Très impliquée à Valence, celle-ci a alloué 80 millions d’euros en 2022 à divers projets caritatifs, dont l’université et un incubateur de talents, et soutient également, entre autres, la restauration du patrimoine civil ou religieux. Hortensia Herrero mécène également un prix d’acquisition d’artistes régionaux lors du Gallery Weekend de Valence, les œuvres entrant alors dans sa collection. « Avec Javier [Molins, conseiller artistique de la collection], nous avons organisé les achats pour que tout s’harmonise et fasse sens. C’est ainsi que nous nous sommes investis dans le monde des galeries et de foires comme Arco, Art Basel, Frieze et de biennales comme celles de Venise », a déclaré Hortensia Herrero lors de l’inauguration. Le musée a mis un peu plus de sept ans à voir le jour. « C’est grâce à son mari qu’elle a pu faire ça, mais c’est vraiment elle, et pas lui, qui a créé la collection », souligne un participant au projet, décrivant une femme « humble, discrète et très impliquée ».
Pour entrer dans le bâtiment, il faut franchir une sorte d’arche faite de calligraphies dans plusieurs langues par l’artiste espagnol Jaume Plensa, message universel et seuil vers la collection. Puis, ce sont des cellules suspendues de Tomas Saraceno qui accueillent les visiteurs dans le hall tout en hauteur. Ce sont quelques-unes des six œuvres conçues spécialement pour le CAHH, souvent spectaculaires. Telles les deux installations vidéo créées par Mat Collishaw. L’une, sur le thème du feu, fait écho aux anciennes fêtes locales liées aux changements de saisons, et mêle flammes, feux d’artifice et papillons – symbole de transformation. L’autre, de forme ovale, et suspendue, s’inspire de l’histoire des lieux. « Je suis venu visiter l’endroit, et j’ai découvert au sous-sol les ruines d’un ancien cirque romain où avaient lieu des courses de chevaux, nous confie l’artiste. J’ai alors choisi de faire galoper les chevaux sous les acclamations de la foule, en référence aussi aux photographies de Muybridge, qui fut le premier à montrer le mouvement des chevaux avec une technique précinématographique ».
Javier Molins a délibérément cherché à perdre (un peu) le visiteur dans un parcours parsemé de sas et de « portes ». Olafur Eliasson, dont plusieurs pièces figurent dans l’exposition, a ainsi conçu un « tunnel » fait d’écailles colorées dont la tonalité change selon le sens de passage. L’un des clous du musée ? La chapelle ancienne ornée non seulement d’un plafond par Joaquín Sorolla mais surtout de vitraux et d’une peinture par Sean Scully. En dehors de ces commandes spéciales, une section accueille des œuvres vidéo par Michal Rovner, teamLab ou encore Julian Opie. Une autre, une sélection d’œuvres cinétiques dont une œuvre signée Jesús-Rafael Soto longtemps restée dans l’appartement de sa galeriste Denise René. Elmgreen & Dragset sont présents avec deux œuvres, Human Scale (Loop Pool) de 2021, ruban d’acier figurant de façon elliptique une petite piscine ; et la cible rose et noire On Target de 2022 évoquant la sexualité autant que l’amour.
Bâtir une collection d’artistes vivants, c’est un peu comme faire venir les meilleurs convives à un dîner. Chacun cherchant à savoir qui d’autre sera là, et s’il sera bien placé… Face à des créateurs internationaux très sollicités, il a fallu beaucoup de pugnacité à Hortensia Herrero et à Javier Molins pour décrocher des œuvres de haut niveau. « Nous ne voulions pas "un" Kiefer, mais avoir les "bons" Kiefer », explique ainsi le conseiller. Trois, majeurs, sont réunis dans une salle en compagnie de Baselitz… un peu comme à la Biennale de Venise de 1980 ! La collectionneuse « a eu un coup de foudre pour cette sculpture de Baselitz à l’origine en bois mais quand nous avons voulu l’acheter, les six étaient vendues ! Nous avons pu contacter l’atelier de l’artiste, qui a fini par nous vendre une épreuve d’artiste ». Autre exemple avec Kiefer : « Ce n’est qu’après lui avoir expliqué que Das Tod und das Mädchen serait accroché dans une salle importante du musée avec plusieurs autres peintures de lui qu’il a accepté de nous vendre l’œuvre, lors d’une rencontre dans son atelier près d’Avignon ». Walhalla, quant à lui, pèse plusieurs centaines de kilos après que l’artiste a recouvert une partie de cette œuvre figurative de métal en fusion, réunissant figuration et abstraction en une même pièce unique.
Quant à David Hockney, le visiteur retrouvera ses vidéos géantes des Quatre saisons, découvertes par Hortensia Herrero au Van Gogh Museum d’Amsterdam. Une seule des saisons était alors disponible, mais le tandem, qui a aussi acquis à la galerie Lelong & Cie deux très longs rubans dessinés de l’artiste britannique sur sa ferme normande, a fini à force de persuasion par obtenir les quatre…
Indéniablement de haut niveau, le CAHH – qui a coûté 40 millions d’euros en incluant les projets artistiques créés pour le site – reste « un collector’s space, pas un musée public, et donc subjectif », glisse un visiteur. Et il est aussi conçu pour le grand public. Si certains artistes de renom qui y figurent sont notamment installés en France, Dubuffet est le seul Français présent dans cet accrochage parmi les 100 œuvres de 50 artistes issus de 13 pays – Daniel Buren, auteur d’une pièce sur la façade du « Centre Pompidou provisoire » de Málaga, aurait par exemple mérité d’en être… Quoi qu’il en soit, « en menant à bien ce projet ambitieux, en montrant sa collection, Hortensia Herrero envoie un message fort aux autres entrepreneurs et collectionneurs du pays », juge le curateur Carlos Urroz, ancien directeur de la Foire Arco et du TBA21 à Madrid. Un exemple à suivre ?