Les quatre derniers membres du comité de sélection chargé de choisir le directeur artistique de la prochaine Documenta de Cassel ont démissionné en bloc. Cette décision intervient après le départ de l'écrivain Ranjit Hoskoté, sous le feu des médias et du gouvernement allemands pour avoir signé une déclaration jugée antisémite.
Les quatre membres du jury – Simon Njami, Gong Yan, Kathrin Rhomberg et María Inés Rodríguez – ont écrit dans une lettre à la direction de la Documenta qu'ils se sentaient « gravement préoccupés pour l'avenir de la Documenta ». « Si l'art doit prendre en compte les réalités culturelles, politiques et sociales complexes de notre époque, il a besoin de conditions appropriées qui lui permettent d'exprimer ses diverses perspectives, perceptions et discours, ont-ils écrit. La dynamique de ces derniers jours, avec le discrédit médiatique et public incontesté de notre collègue Ranjit Hoskoté, qui l'a contraint à démissionner du comité de sélection, nous fait douter que cette condition préalable à toute nouvelle édition de la Documenta soit actuellement remplie en Allemagne », peut-on lire dans la lettre.
Les signataires ajoutent que la « conscience des responsabilités particulières » de l'Allemagne en matière de lutte contre l'antisémitisme « risque d'être instrumentalisée à des fins de politique partisane afin que soient occultées les approches non souhaitées et leur discussion large et ouverte dès le stade de la conception de l'exposition ».
Lors de la dernière Documenta, qui a eu lieu en 2022 et dont le commissariat était assuré par le collectif d'artistes indonésiens ruangrupa, les organisateurs ont dû retirer plusieurs œuvres contenant des images antisémites. Le directeur général de l'exposition a été contraint de démissionner et un membre de ruangrupa a été invité à expliquer le déroulement des événements devant le parlement allemand.
L'exposition s'est achevée sur une lettre ouverte des commissaires et des artistes concernés, dans laquelle ils déclaraient : « nous sommes en colère, nous sommes tristes, nous sommes fatigués » de ce qui était décrit comme « le chaos, l'hostilité, le racisme et la censure qui ont englouti cette édition de la Documenta ».
Ranjit Hoskoté a démissionné au début de la semaine dernière après qu'il a été révélé qu'il avait signé en 2019 une déclaration du mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions), qui vise à mobiliser le soutien international en faveur des causes palestiniennes et à exercer une pression politique sur Israël. Dans une interview accordée au Süddeutsche Zeitung, la ministre allemande de la Culture, Claudia Roth, a qualifié la déclaration signée par Ranjit Hoskoté de « clairement antisémite et chargée de théories du complot hostiles à Israël ».
Dans une lettre adressée à la direction de la Documenta, Ranjit Hoskoté a déclaré qu'il se sentait jugé par un « tribunal fantoche » et que les accusations d'antisémitisme portées contre lui étaient « monstrueuses ». Il a déclaré s'être senti poussé « à accepter une définition générale et indéfendable de l'antisémitisme qui fait l'amalgame entre le peuple juif et l'État israélien et qui, de la même manière, assimile toute expression de sympathie à l'égard du peuple palestinien à un soutien au Hamas ».
La « Déclaration contre l'événement organisé par le consulat général d'Israël à Mumbai sur l'hindutva et le sionisme » que Ranjit Hoskoté a signée en 2019 décrit le sionisme comme une « idéologie raciste prônant un État colonial et d'apartheid où les non-Juifs n'ont pas les mêmes droits que les autres ». Ranjit Hoskoté, qui est Indien, a déclaré que sa signature était une protestation contre la tentative d'assimiler le sionisme à l'hindutva, ou nationalisme hindou.
En 2019, le parlement allemand a adopté une résolution qualifiant le BDS d'« antisémite ». Dans l'interview de Süddeutsche Zeitung, Claudia Roth a menacé de ne pas financer la Documenta à moins « qu'il n'y ait un plan commun et des réformes visibles qui se traduisent par des responsabilités claires, une possibilité réelle pour le gouvernement fédéral d’y contribuer et des normes visant à prévenir l'antisémitisme et la discrimination ».
Peu avant la démission de Ranjit Hoskoté, Bracha Lichtenberg Ettinger, artiste et philosophe israélienne, s'est également retirée du comité de sélection composé de six membres, déclarant qu'elle estimait ne plus pouvoir y contribuer à la suite de l'attaque du Hamas contre Israël et de la réponse israélienne. Bracha Lichtenberg Ettinger a déclaré que sa décision n'était pas liée au départ de Ranjit Hoskoté, selon la Documenta.
Les organisateurs de la Documenta 16, prévue pour 2027, ont promis de s'attaquer à l'antisémitisme de l'édition précédente, notamment en apportant des changements organisationnels pour éviter qu'il ne se reproduise. « Les événements de l'été 2022 ne peuvent se répéter », a déclaré Andreas Hoffmann, le directeur général de la Documenta, dans le communiqué annonçant le départ de Ranjit Hoskoté.
La démission collective du comité de sélection jette un doute sur le calendrier de la prochaine édition. La nouvelle direction artistique de la Documenta 16 devait être annoncée à la fin de cette année ou au début de 2024. La Documenta a déclaré qu'elle « respectait la décision » du comité de sélection et qu'elle « proposera au conseil de surveillance de reprendre le processus de sélection à zéro ». Elle a ajouté qu'elle proposera également que les décisions relatives à la réorganisation soient actées avant que le processus ne soit relancé.