Vingt-cinq ans après avoir approuvé les Principes de Washington, le Conseil fédéral suisse a ratifié la création d’une commission indépendante pour le patrimoine culturel au passé problématique, chargée d’examiner les demandes d’indemnisation pour les œuvres d’art spoliées par les nazis et acquises durant cette période. Ce groupe évaluera également les demandes relatives au patrimoine culturel qui a changé de mains dans un contexte colonial.
La Suisse a servi de plaque tournante pour les œuvres d’art spoliées par les nazis avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Depuis 2014 et la donation au Kunstmuseum de Berne de la collection d’art de Cornelius Gurlitt – y compris des pièces saisies par les nazis ou vendues sous la contrainte par des collectionneurs juifs –, la Suisse a pris conscience de son absence de structure pour traiter de telles revendications. Le tollé suscité par la nouvelle présentation par le Kunsthaus de Zurich d’œuvres issues de la Fondation Bührle comprenant des tableaux contestés n’a fait que renforcé ce manque.
Les œuvres des collections des musées suisses sont « régulièrement » à l’origine « d’incertitudes et de litiges, a déclaré l’Office fédéral de la Culture dans un communiqué. Le Conseil fédéral encourage une étude transparente de ce patrimoine et soutient la mise en œuvre de solutions justes et équitables. »
La Suisse fait partie des 44 États et organisations ayant approuvé les principes non contraignants de Washington en 1998. En vertu de ces principes, les gouvernements ont accepté d’inciter les musées à mener des recherches sur la provenance, à identifier les œuvres d’art saisies par les nazis et à rechercher des « solutions justes et équitables » avec les collectionneurs d’origine juive et leurs héritiers pour les œuvres qu’ils ont perdues en raison des persécutions. Ils ont également convenu de mettre en place des « mécanismes alternatifs de règlement des litiges pour résoudre les problèmes de propriété ».
La France, l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont tous mis en place, il y a une vingtaine d’années, des groupes chargés d’évaluer les demandes d’œuvres d’art spoliées par les nazis dans les collections publiques. La Suisse est le sixième pays à le faire. La nouvelle ordonnance entrera en vigueur en janvier 2024. Le Conseil fédéral a déclaré qu’il nommera les membres de la commission – entre neuf et douze au total – au cours du premier semestre de l’année prochaine.
L’ordonnance suisse stipule que la commission rendra des recommandations non contraignantes en cas de litiges entre les demandeurs et les détenteurs actuels et pourra, le cas échéant, faire appel à des experts externes dans des cas particuliers. Les affaires qui ont déjà fait l’objet d’une procédure judiciaire ne peuvent pas être soumises au groupe d’experts.
Les litiges seront soumis à l’Office fédéral de la Culture, qui les confiera à la commission pour examen. L’ordonnance précise que toute œuvre ou tout objet situé en Suisse ou ayant changé de mains en Suisse peut faire l’objet d’un examen.
En vertu de cette décision, les requérants sont autorisés à demander une expertise à la commission, avec ou non l’accord du détenteur actuel, à condition qu’ils puissent apporter la preuve d’avoir entrepris des recherches sur la provenance et tenté de parvenir à un accord avec le détenteur actuel.
Cette procédure contraste avec celle de l’Allemagne, où les deux parties devaient jusqu’à présent se mettre d’accord avant qu’une demande puisse être soumise au comité consultatif du gouvernement sur les œuvres d’art spoliées par les nazis.