L’ombre bienveillante d’Álvaro Siza plane toujours sur la Fondation Serralves, à Porto. À 90 ans passés, l’architecte portugais, prix Pritzker 1992 – équivalent du prix Nobel en architecture –, vient en effet d’ajouter une nouvelle pierre ou, plus exactement, un nouvel édifice à la « galaxie Serralves », pour laquelle il a déjà œuvré à maintes reprises depuis la réalisation, en 1999, du Musée d’art contemporain éponyme. Suivirent, en 2019, la Casa do Cinema Manoel de Oliveira – anciennes écuries du domaine reconverties en musée du cinéma –, puis en 2021, la rénovation complète de ce joyau rose Art déco qu’est la Casa Serralves – que Siza a cornaquée de pied en cap et voulu à l’identique –, sans oublier, cette même année, l’édification, dans le parc, d’une petite maison – non ouverte au public – pour les jardiniers. Ce qui fait de ce domaine culturel portuan un lieu de visite à double détente : d’un côté, les expositions ; de l’autre, l’œuvre de l’un des grands noms de l’histoire de l’architecture mondiale.
Cette nouvelle aile, baptisée « Ala Álvaro Siza » [« Aile Álvaro Siza »], est à la fois autre et semblable. L’exploit d’Álvaro Siza est de l’avoir implantée sans toucher, ou presque, aux essences existantes. Seuls 11 arbres, paraît-il, ont été déplacés et replantés sur la parcelle. D’où un bâtiment qui zigzague entre les troncs à deux pas de l’édifice originel, installant, de fait, un lien fort avec l’existant, en l’occurrence ce parc qui fête, cette année, son centenaire. On reconnaît indubitablement la patte et les obsessions du maestro portugais. À mille lieues du geste architectural, il s’agirait plutôt d’une « pousse » naturelle supplémentaire, à l’instar de la branche nouvelle d’un arbre de presque un quart de siècle : le musée originel.
À l’intérieur, se déploie une multitude de salles aux configurations et hauteurs sous plafond différentes. Des baies vitrées judicieusement placées cadrent la vue sur le paysage alentour, baignant, en retour, les espaces d’une agréable lumière naturelle. Idem avec le travail sur la lumière artificielle : d’épais faux plafonds quasi flottants dissimulent l’ensemble des dispositifs d’éclairage pour ne laisser filtrer qu’une lumière évanescente. Au sol, des ouvertures oblongues pas plus hautes que les plinthes dissimulent avec subtilité le système de climatisation/chauffage/ventilation. Un « pont couvert » relie les deux ailes du musée.
Une fois quittée la partie ancienne, le visiteur débouche dans l’aile neuve pile-poil face à deux formes triangulaires inversées – d’abord une paroi, puis une fenêtre –, un jeu inhabituel dans le vocabulaire de Siza, mais qui permet d’« attirer l’attention sur le fait que vous entrez dans un autre bâtiment » (dixit l’architecte portugais).
Les travaux, dont le coût s’élève à 11 millions d’euros, n’ont duré que 18 mois. Trois niveaux flambant neuf offrent une surface de 4 200 m2, soit 33 % de mètres carrés supplémentaires par rapport à l’édifice d’origine. Côté expositions, la surface « gonfle » de près de 2 000 m2 – soit 44 % en plus –, et, côté archives, de plus de 1 100 m2 – soit 75 % supplémentaires. Le premier étage sera consacré aux présentations d’architecture, le second dévolu à l’art. Situées en sous-sol, les réserves, elles, hébergent quelque 4 500 pièces : soit la collection Serralves, ainsi que d’autres fonds accueillis en dépôt.
Événement rare et original : cette nouvelle aile, pour l’heure entièrement vide, est néanmoins visible depuis fin octobre et accessible à tout visiteur du musée. Déambuler dans ces salles vierges permet ainsi de goûter au plus près à l’architecture d’Álvaro Siza. « Cela me tenait à cœur, par respect pour Siza, de montrer l’édifice tel qu’on ne le verra plus une fois que le programme des expositions aura démarré et que les œuvres auront pris place, explique Philippe Vergne, le directeur du Musée d’art contemporain Serralves. Il y avait beaucoup d’attente, je voulais donc donner l’opportunité aux visiteurs de voir le bâtiment à nu, de les laisser se l’approprier. C’est un privilège de pouvoir profiter telle quelle de cette architecture tellement singulière. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, le lieu n’est pas vide. Grâce, notamment, à ce formidable travail avec la lumière naturelle, il devient un espace avec une âme. »
En interne, cela permet, en outre, aux équipes de « tester » les espaces en grandeur nature, avant les premiers accrochages des deux expositions inaugurales prévues en février 2024, en l’occurrence : l’une, au premier étage, sur l’œuvre d’Álvaro Siza ; l’autre, au second, sur la collection Serralves.
« Ala Álvaro Siza », Musée d’art contemporain Serralves, rua D. João de Castro, 210, Porto, Portugal.