Michael Dean : Lamp black on sack cloth (love for fucksake)
Michael Dean a toujours associé la sculpture au langage et trouve souvent ses motifs dans différentes polices de caractères. Cette inspiration lettriste plutôt que de lester les œuvres d’un contenu ou de les appuyer contre un texte est avant tout une manière de libérer des possibilités formelles. L’élan est donné par trois arcs ou « c » majuscules en béton, que l’on dirait vertébrés, lancés à l’assaut de l’escalier. À l’étage, on découvre un ensemble de peintures et de sculptures qui travaillent ensemble et se répondent.
Les peintures sont réalisées sur de la toile de jute épaisse, des grillages de fer, du béton. À la suite de déformations successives, le « f » de fuck va d’une peinture à l’autre des peintures pour se transformer en chiffre 8 et ce chiffre 8 s’enfermer dans des cercles concentriques qui dessinent des boules de billard. Le motif des cercles concentriques se retrouve un peu partout sur les peintures, surdes pages de carnets ouverts au sol, et dans les sculptures. Celles-ci sont composées de sachets de béton en plastique transparent peints, liés entre eux et tordus. Les longs boudins en spirale sont tenus debout par des tiges de fer. C’est le sachet ready-made substitué au colombin du sculpteur et la liberté du dessin préférée aux paquets d’expression. L’une de ces sculptures repose drôlement et symboliquement sur une large langue libre de toute gangue.
Du 2 décembre 2023 au 20 janvier 2024, Mendes Wood DM, 25, place des Vosges, 75004 Paris
Eileen Quinlan : Doll Parts
Rien de plus sage en apparence que l’accrochage de « Doll Parts ». Les photos sont toutes de même format, sagement alignées, et appartiennent à trois grandes séries : des photos du duo d’artistes Atelier EB où l’on trouve des mannequins de différentes époques ; des images qu’Eileen Quinlan prend de son corps pressé contre la paroi de verre de la cabine de douche : fesses, bustes, et des couchers de soleil et des lunes ascendantes photographiées sur l’écran de télévision. Les photos sont imprimées sur miroir, ce qui ajoute en luminosité, nous oblige à nous immiscer dans l’image, et crée parfois un singulier relief.
Eileen Quinlan joue particulièrement des effets de solarisation et refait son propre voyage à travers les recherches formelles de l’avant-garde. Elle use librement de celles-ci comme d’un répertoire et y apporte sa fantaisie et des préoccupations personnelles. Sentiment d’étrangeté devant le corps qu’elle habite (tantôt astral et tantôt minéral), élans cosmiques, goût pour l’abstraction. Elle va aux limites du goût dans sa vision doublement trafiquée des astres et Survivor Moon (Pink Moon), aux contours soulignés nous évoque une sérigraphie du dernier Warhol. Eileen Quinlan nous livre en une brève séquence une histoire personnelle de la photographie, riche de correspondances et d’échos.
Du 2 décembre 2023 au 13 janvier 2024, Emanuela Campoli, 4 & 6 rue de Braque, 75003 Paris
Luc Delahaye : Reportage
Passé du photoreportage à la photo plasticienne, Luc Delahaye est largement connu pour ses mises en scène ou reconstitutions de photos instantanées. « Reportage » présente un ensemble resserré d’œuvres, avec des choix de format, de légendes et un accrochage qui en font en elle-même une œuvre. L’exposition est construite autour de deux grandes photos en couleurs qui se font face. L’une montre une réunion de participants à la COP 26 de 2021, à un moment de blocage dramatique des discussions. Image plausible qui, étant donné les enjeux d’un tel sommet, pourrait être l’équivalent d’un tableau d’histoire. L’autre montre cinq Africains réunis autour d’un feu sur une terre non cultivée à la périphérie d’une ville française. À côté de cette belle image, tableau de genre, est accrochée une photo noir et blanc de corps endormis, en chien de fusil, à l’abri d’un muret de ciment : Sans titre (Calais, 2007). Ce rapprochement engage une réflexion sur la circulation des images documentaires dans les champs médiatiques et artistiques. Autre élément de cette réflexion : 6 et 7 mars 2022, sous le pont d’Irpin, Ukraine, 45 visages extraits d’une vue de foule et, à proximité, quelques portraits extraits de monuments aux morts soviétiques. Un peu à l’écart de toutes ces photos qui peuvent être dites de reportage, la vision d’un visage de soldat aux yeux bandés : Il va mourir (2022). Le titre pourrait constituer une accroche de presse ou n’être que constat, la photo elle-même, au statut indécidable, est un parfait élément de perturbation.
Du 6 novembre au 23 décembre 2023, Galerie Nathalie Obadia, 91, rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris
Richard Fauguet : « Pipeshow »
Le titre de la nouvelle exposition de Richard Fauguet dit tout ou presque : des pipes qui, assemblées par quatre ou cinq, dessinent des figures, le foyer pour le tronc ou pour la tête, le tuyau pour les jambes ou les bras. Dans une première salle, elles se tiennent en ligne sur un unique socle long et étroit. Dans la deuxième salle, elles sont cinq réparties sur trois socles circulaires. Les lignes laissent penser qu’il s’agit de figures féminines, leurs titres sont des prénoms masculins : voilà pour la problématique du genre.
Disséminées sur les murs, on voit des assiettes en carton rectangulaires de type fast-food barbouillées de gris et sur lesquelles a été fixée une demi-coquille d’huîtres ouvertes. On devine un œil, ou un visage, venus en spectateurs. Qui est l’auteur dudit spectacle ? Est-ce Richard Fauguet, artiste qui vient exposer le fruit de son travail ou de sa recherche, ou bien celui-ci double-t-il son curateur en exposant les travaux d’un autre fictif ? Un principe d’emboîtement auquel participe aussi le tapissage des murs par des grandes photos d’intérieur basculées à 180°. Les assemblages d’opalines éclairées, caractéristiques du vocabulaire de l’artiste, assurent un lien entre les différents niveaux de l’exposition-intrigue.
Ultime source de perplexité : deux dessins au feutre sur papier-alu campent Bourvil et de Funès, et Picasso associé à l’enseigne Mammouth. Saut dans l’inconscient ? Évocation de la chambre de l’adolescent ? Ou parodie du citationnisme généralisé ? Un peu de tout ça sans doute.
Du 25 novembre 2023 au 13 janvier 2024, Art : Concept, 4, passage Sainte-Avoye, 75003 Paris. Commissaire : Xavier Franceschi