La ministre allemande de la culture, Claudia Roth, entend mettre en œuvre des réformes afin d’aider les ayants droit d’œuvres d’art spoliées par les nazis. Mais sa proposition la plus importante, qui vise à accroître les pouvoirs de la commission consultative nationale sur l’art spolié par les nazis, se heurte à la résistance de l’État de Bavière.
Le 25e anniversaire, l’année dernière, des Principes de Washington, favorisant la résolution des questions liées aux œuvres d’art confisquées par les nazis, qui ont été approuvées par 44 gouvernements et organisations en 1998, a donné lieu à un bilan des actions entreprises jusqu’à présent et de ce qu’il reste encore à accomplir pour que les familles des collectionneurs juifs, dont les biens ont été volés, obtiennent justice. En Allemagne, plus de 7 000 œuvres d’art ou objets culturels ont été restitués aux héritiers depuis 1998. Mais cela ne représente qu’une infime partie des œuvres d’art spoliées par les nazis ou vendues par des Juifs sous la contrainte. Des litiges très médiatisés – comme la plainte déposée par les héritiers du banquier juif Paul von Mendelssohn-Bartholdy contre les collections de peinture de l’État de Bavière pour le Portrait de Madame Soler (1903) de Picasso – risquent encore de durer des années.
La plupart des œuvres restituées proviennent de collections publiques. « Nous ne pouvons absolument pas nous satisfaire de l’état d’avancement des restitutions par les collections privées, a déclaré Gilbert Lupfer, directeur du Deutsche Zentrum Kulturgutverluste (Centre allemand pour les objets d’art perdus), lors d’un événement organisé en décembre à Berlin pour marquer ce 25e anniversaire. La situation a peu évolué et il nous manque des arguments convaincants qui ne se limitent pas à faire appel à la moralité des gens ».
Lors de cette même manifestation, Claudia Roth a déclaré que le fait que tant d’œuvres ne soient pas restituées était une « honte ». Elle a précédemment qualifié les attributions de la commission consultative du gouvernement d'« inadéquates » et a déclaré que l’Allemagne « n’assumait pas ses responsabilités ».
Parmi les réformes proposées par la ministre figure l’extension du mandat de la commission consultative afin de permettre à l’une des parties de soumettre un litige à la commission, même si l’autre partie s’y oppose. À l’heure actuelle, les deux parties doivent se mettre d’accord pour soumettre leur différend à la commission, ce qui explique en partie pourquoi cette dernière n’a émis que 23 recommandations en 20 ans.
Mais les discussions entre le ministère allemand de la Culture et les 16 Länder, dont l’accord est nécessaire pour que le changement prenne effet, se sont heurtées à une pierre d’achoppement majeure. Le ministre bavarois de la Culture, Markus Blume, insiste sur le fait que toute réforme de la commission doit s’accompagner d’une nouvelle loi sur les restitutions des biens culturels perdus pendant le régime nazi. Claudia Roth s’oppose à une nouvelle loi, estimant qu’il faudra trop de temps pour la formuler, la négocier et la mettre en œuvre. Cependant, son ministère est en discussion avec les ministères de la Justice et des Finances pour modifier le Code civil afin de lever les délais de prescription pour les biens culturels pillés par les nazis. Il cherche également à introduire un droit légal à l’information sur la provenance. Mais les avocats spécialisés dans ce domaine affirment qu’il reste encore un obstacle majeur pour les demandeurs de restitution devant les tribunaux, à savoir l’Ersitzung, une particularité du droit allemand qui reconnaît le droit d’une personne ayant acquis un objet de bonne foi et l’ayant possédé pendant dix ans à le conserver.
Sans l’accord des Länder, Claudia Roth ne peut pas imposer une réglementation permettant aux demandeurs de saisir la commission d’experts sans le consentement du détenteur actuel. Mais à partir de ce mois de janvier, tout musée qui refusera de se présenter devant la commission ne pourra plus bénéficier de subventions du gouvernement fédéral.
Claudia Roth a cité l’exemple du Portrait de Madame Soler, symbole des lacunes du système actuel. La Bavière a refusé de soumettre le litige à la commission, arguant qu’il ne s’agit pas d’un cas de restitution. En vertu de la nouvelle règle, les Collections de peintures de l’État de Bavière ne seraient plus éligibles aux aides fédérales à la recherche sur la provenance.