L’influent artiste américain William Pope.L, dit Pope.L, né en 1955, est décédé à l’âge de 68 ans. Son décès a été confirmé par l’une de ses galeries, Mitchell-Innes & Nash à New York, qui a déclaré dans un communiqué qu’il était mort subitement le 23 décembre 2023 à son domicile de Chicago.
De nombreux hommages lui ont été rendus sur les réseaux sociaux. « Personne d’autre que Pope.L n’a traité le rejet des noirs et l’absurdité du racisme d’une manière aussi poétique et indéfectible », a posté l’artiste Coco Fusco sur Instagram. L’artiste britannique Isaac Julien a déclaré, également sur Instagram : « Je ne pense pas avoir jamais vu une critique aussi profonde et puissante du racisme de la part d’un artiste (masculin et blanc) dans la culture américaine capitaliste [en référence à son crawl déguisé en Superman le long de Broadway en 2000] ».
« Merci pour votre éternel brio, votre intégrité et vos conseils », a posté quant à lui l’artiste Sanford Biggers. Mark Godfrey, ancien conservateur de la Tate Modern à Londres, a écrit sur les réseaux sociaux qu'« il était un artiste extraordinairement original et radical ».
La galerie Mitchell-Innes & Nash a déclaré dans un communiqué que « sa longue série de performances provocatrices et absurdes ainsi que son œuvre très variée composée d’installations, d’objets et de peintures ont bousculé les notions conventionnelles de langage, de matérialité et de signification. Sa critique élégante, incontestée et souvent humoristique, mais aussi mordante et poignante de notre histoire n’a commencé à être pleinement reconnue que récemment. » L’artiste est également représenté par les galeries Modern Art, à Londres, et Vielmetter, à Los Angeles ; un hommage à l’artiste est prévu au printemps prochain.
En novembre 2023, notre édition internationale a publié un entretien avec Pope.L à l’occasion de son exposition à la South London Gallery à Londres (« Hospital », jusqu’au 11 février 2024). « Il était connu pour ses œuvres provocantes et souvent absurdes qui traitent de la race, des systèmes économiques et du langage. Artiste et éducateur basé à Chicago, il a travaillé dans de multiples disciplines, des installations aux films en passant par la peinture et l’écriture. Son travail est aussi singulier que varié », commente notre consœur Margaret Carrigan.
Pope.L était surtout connu pour sa série Crawl, pour laquelle il s’est déplacé à quatre pattes sur de vastes étendues de la ville de New York à plusieurs reprises entre 1978 et 2001. Ces interventions chocs ont suscité de fortes réactions de la part des spectateurs. « Au début, certaines personnes étaient perplexes. D’autres étaient en colère. Certains, surtout quand je faisais la performance dans la rue, m’ignoraient ou m’évitaient », avait-il déclaré.
Selon Margaret Carrigan, Eating the Wall Street Journal était peut-être l’œuvre la plus reconnaissable de Pope.L. Cette performance a été réalisée à de multiples reprises depuis 1991, lorsqu’il s’est assis pour la première fois sur un drapeau américain et a commencé à manger des pages du Wall Street Journal, en les arrosant de lait et de ketchup.
Eating the Wall Street Journal a été présentée en 2000 au Sculpture Center de New York. En 2020, lors de l’exposition personnelle de Pope.L au Museum of Modern Art (MoMA) de New York, il a exécuté une version pour la rue de la pièce sur le drapeau américain, livrant un commentaire succinct sur la glorification par les États-Unis du capital et de la consommation.
Une nouvelle version de cette œuvre est la pièce maîtresse de son exposition à la South London Gallery. Pour cette itération, Pope.L a supprimé l’élément de performance en direct et, à la place, trois tours en bois de quatre mètres de haut, surmontées de toilettes et à différents stades d’effondrement, dominent l’espace principal de la galerie.
Parmi ses autres œuvres clés, citons I Get Paid to Rub Mayo on My Body (1991), dans laquelle l’artiste s’enduit de mayonnaise sur tout le torse afin de se donner une « fausse blancheur », remettant une fois de plus en question les perceptions de la condition noire. Assis dans la vitrine de l’espace d’art Franklin Furnace à New York, Pope.L se présentait comme une marchandise, reflétant la dynamique d’un marché de l’art en plein essor. Il distribuait souvent des cartes de visite sur lesquelles il était qualifié d’« artiste noir le plus sympathique d’Amérique ».
Sa plus grande exposition muséale a été inaugurée en 2015 au site Geffen Contemporary du Museum of Contemporary Art à Los Angeles. L’exposition comprenait Trinket, où de l’air puissant émis par une série de ventilateurs a provoqué l’effilochage et la décomposition du drapeau américain au cours des quatorze semaines qu’a duré la manifestation.
« Un drapeau désigne une nation, a déclaré Pope.L à Artforum. Un drapeau est une amulette qui symbolise le butin national. Les babioles suggèrent un temps passé. Le drapeau américain suggère un temps passé. C’est ce que nous faisons quand nous ne pensons pas… C’est un objet qui divise. C’est une division de… C’est une dissection de… Il découpe le désir en un dessin qui se fait passer pour de la rationalité. C’est ce que nous appelons le capital symbolique. »
Selon Mitchell-Innes & Nash, Pope.L, né à Newark, a étudié à l’Institut Pratt, mais le manque de moyens l’a contraint à abandonner ses études. Il a ensuite obtenu une licence au Montclair State College (Montclair State University) en 1978. Il a également suivi le programme d’études indépendantes du Whitney Museum of American Art avant d’obtenir un Master of Fine Arts (MFA) à l’université Rutgers en 1981. Il a également étudié au théâtre Mabou Mines sur St. Mark’s Place à Manhattan.
Ces dernières années, sa carrière a connu une accélération. Il a bénéficié d’expositions très médiatisées telles que « Instigation, Aspiration, Perspiration », une trilogie d’expositions à New York (2019) organisées par le Museum of Modern Art, le Whitney Museum of American Art et le Public Art Fund. Le MoMA a déclaré que Pope.L se qualifiait lui-même de « pêcheur d’absurdité sociale ».