La France, ce grand pays de littérature, laisse volontiers entrer dans le débat public des questions soulevées par les romans, comme l’actualité récente l’a encore montrée. Un personnage qui reprend vie sous la plume d’un écrivain peut aussi apparaître sous un jour nouveau conduisant à la réévaluation de son action. En cette rentrée littéraire, le troisième livre de Violaine Huisman devrait bien amener à une reconnaissance posthume et tardive de son grand-père, Georges Huisman, qui fut dans les dernières années de la IIIe République l’équivalent de notre ministre de la Culture.
Après avoir retracé dans Fugitive parce que reine (2018) la vie de sa mère, être solaire à l’existence tumultueuse, l’autrice se penche dans Les Monuments de Paris sur celle de son père, Denis Huisman, homme excessif et flamboyant, auteur d’ouvrages de philosophie à succès et cofondateur à Paris avec son frère Philippe d’une école bien connue dans le monde de l’art, l’Institut supérieur des carrières artistiques (ICART), dont Nicolas Bourriaud sortira par exemple diplômé.
Mais l’évocation de la personnalité et de la carrière de son père, qui ne fut pas avare au crépuscule de sa vie à évoquer ses souvenirs d’enfance, va bien vite conduire l’écrivain à s’intéresser à son grand-père, Georges Huisman, qui fut directeur général des Beaux-Arts de 1934 à 1940. À ce poste, cet ancien secrétaire général de la présidence de la République a mené une politique remarquable en faveur du Louvre et des musées de province, de l’enseignement artistique, œuvrant aussi à une démocratisation de l’art, le tout dans le contexte du Front populaire. Il a aussi eu une action déterminante lors de la préparation de l’Exposition universelle de Paris en 1937, avec la transformation du Palais de Chaillot notamment par son ami l’architecte Jacques Carlu, et l’élévation du Palais de Tokyo… Au moment du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, il conçoit le programme de mise en sûreté des collections nationales à Chaumont-sur-Loire et Chambord – l’épisode du transport du Radeau de la méduse de Géricault est rocambolesque –, « ainsi que le contenu des ateliers de Fernand Léger et de Georges Braque, qu’il était allé voir personnellement pour les convaincre de protéger leurs travaux », écrit Violaine Huisman.
Passionné de cinéma, Georges Huisman est l’un des fondateurs du Festival de Cannes. Mais, emporté par l’Histoire, les choses vont très vite mal tourner pour lui. Alors qu’il s’apprête à inaugurer la première édition du Festival de Cannes le 1er septembre 1939, la manifestation est annulée à la suite de la mobilisation générale et de l’entrée de la France en guerre contre l’Allemagne. Quelques mois après, le Régime de Vichy le limoge de son poste de directeur général des Beaux-Arts, lui interdit d’exercer toute fonction publique et le déchoit de sa nationalité française notamment pour être né d’un père naturalisé et juif.
« Malgré la somme d’injures racistes dont il a souffert tout au long de sa vie, il n’imaginait pas que la haine antisémite puisse l’atteindre et l’accabler à ce point », écrit l’autrice. Une phrase qui résonne doublement dans le monde d’aujourd’hui.
Après la guerre, Georges Huisman ne retrouvera pas ses fonctions. Il sera cependant président du jury du Festival de Cannes de 1946, 1947 et 1949, et membre du jury en 1957, année de sa mort, avant de tomber dans un injuste oubli. Sous la plume de sa petite fille, qui s’est plongée pour ce livre dans les archives familiales, Georges Huisman retrouve sa stature, celle qui fut la sienne dans un monde marqué comme le nôtre par la montée des extrémismes, par la force du souvenir. Un monument de Paris.