Caspar David Friedrich est mort dans la pauvreté en 1840, et il est presque tombé dans l’oubli ensuite. À l’approche du 250e anniversaire de sa naissance, sa reconnaissance atteint pourtant de nouveaux sommets.
Trois grandes expositions sont prévues en Allemagne en 2024. La Kunsthalle de Hambourg a lancé les festivités avec l’ouverture en décembre de l’exposition qu’elle consacre à l’artiste romantique allemand. Cette dernière se concentre sur sa nouvelle vision de la relation de l’homme avec la nature et présente son œuvre la plus connue, Le Voyageur contemplant une mer de nuages (vers 1817). L’exposition de l’Alte Nationalgalerie de Berlin ouvrira ses portes le 19 avril ; celle de l’Albertinum et du Kupferstichkabinett de Dresde suivra en août. Des expositions sont également prévues dans des villes plus petites comme Weimar et Greifswald, la ville natale de l’artiste, dans l’extrême nord-est du pays.
L’exposition berlinoise, « Caspar David Friedrich. Unendliche Landschaften » [« Caspar David Friedrich. Paysages infinis »], examinera le rôle joué par la Nationalgalerie dans la redécouverte de l’artiste au début du XXe siècle. Selon Birgit Verwiebe, spécialiste du peintre et commissaire de l’exposition dans la capitale allemande, Berlin a été, de son vivant, au cœur du succès de Friedrich, plus que Dresde, où il a vécu pendant 40 ans.
Un romantique sur le trône
Les paysages de Friedrich ont été exposés à plusieurs reprises à l’Académie de Berlin entre 1810 et 1834 et ont suscité l’admiration du poète romantique Clemens Brentano, du dramaturge Heinrich von Kleist et, surtout, du prince héritier, qui devint plus tard Frédéric-Guillaume IV et fut connu comme le « romantique sur le trône ». Il a persuadé son père, Frédéric-Guillaume III, d’acquérir plusieurs œuvres importantes de Friedrich au début du XIXe siècle, notamment Le moine au bord de la mer – une vue panoramique de la plage et de l’océan avec, au centre, une minuscule silhouette sombre face aux vagues – et L’abbaye dans la forêt de chênes, qui représente une ruine gothique entourée de pierres tombales et d’arbres dénudés et tordus.
Grâce à ces acquisitions royales, Berlin possède l’une des plus importantes collections d’œuvres de Caspar David Friedrich au monde. Depuis cette ville, il a conquis la Russie ; la sœur du prince héritier, Charlotte, qui était également une fervente admiratrice du peintre, est devenue plus tard impératrice consort en Russie lorsque son mari a été couronné tsar Nicolas Ier en 1825. Elle persuada ce dernier d’acheter des œuvres de Friedrich, et neuf tableaux sont aujourd’hui conservés à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg.
Les musées allemands étaient en discussion pour obtenir des prêts de la Russie, indique Birgit Verwiebe. Mais depuis l’invasion de l’Ukraine, à la suite de laquelle les musées internationaux ont rompu leurs liens avec la Russie, il n’en a évidemment plus été question.
Au début du XXe siècle, Caspar David Friedrich était tombé dans l’oubli. En 1906, l’exposition sur l’art allemand de 1775 à 1875 à la Nationalgalerie de Berlin a présenté 93 de ses œuvres, soit la présentation la plus complète jamais réalisée sur l’œuvre de ce peintre. Cet événement a marqué le début d’un lent regain d’intérêt qui se poursuit encore aujourd’hui.
« Pendant longtemps, Friedrich a été une référence pour les initiés », explique Birgit Verwiebe. Après la Seconde Guerre mondiale, sa réputation a été ternie par l’intérêt que lui avaient porté les nazis : Hitler adorait la peinture romantique allemande et Friedrich était l’un de ses artistes préférés. Dans les années d’après-guerre, les chercheurs et les musées ont négligé le peintre.
Il a fallu quelques décennies pour que le tabou s’estompe. En 1972, la Tate de Londres a organisé une grande exposition qui a largement contribué à la renommée internationale de l’artiste. En 1974, de longues files d’attente se sont formées pour l’exposition de Friedrich à la Kunsthalle de Hambourg à l’occasion du 200e anniversaire de sa naissance.
Sa popularité croissante se reflète également sur le marché. Alors que les peintures de l’artiste se trouvent pour la plupart dans des musées, ses dessins changent toujours de mains parmi les collectionneurs privés, explique Christina Grummt, autrice du catalogue raisonné de son œuvre graphique.
Un rare carnet de croquis de l’artiste a été adjugé 1,8 million d’euros à la Villa Grisebach en novembre 2023. Peu avant la vente aux enchères, les autorités berlinoises l’ont inscrit sur la liste des trésors nationaux allemands, ce qui signifie qu’il ne peut être exporté pendant la durée de l’examen.
Influences contemporaines
Caspar David Friedrich continue de fasciner les artistes contemporains, notamment Gerhard Richter, qui a effectué un voyage au Groenland en 1972 après avoir vu son tableau La Mer de glace (1823-1824). L’exposition de Hambourg explore l’influence de Friedrich en présentant des œuvres de Julian Charrière, Ólafur Eliasson, Ulrike Rosenbach et Kehinde Wiley.
À l’échelle internationale, la réputation de l’artiste ne cesse de croître, explique Birgit Verwiebe. « Sa reconnaissance a progressé au cours du XXIe siècle et elle continue à prendre de l’ampleur », analyse-t-elle. L’an dernier, une exposition au Kunst Museum Winterthur [musée des Beaux-Arts de Winterthour, en Suisse]a été si populaire que l’institution a dû avertir les visiteurs sur son site Internet des délais d’attente à l’entrée. « Les Suisses commencent à peine à le connaître, explique Christina Grummt. Les gens sont venus à plusieurs reprises [à l’exposition de Winterthour], ils étaient fascinés. Chacun voit quelque chose dans son travail et pense qu’il lui parle personnellement. »
Après les expositions allemandes de cette année, le Metropolitan Museum of Art de New York organisera en 2025 la première grande exposition personnelle de l’artiste aux États-Unis. « Caspar David Friedrich : The Soul of Nature » [« Caspar David Friedrich : L’âme de la nature »] lui permettra certainement de séduire de nouveaux publics. Mais les expositions futures risquent aussi de se faire plus rares : les musées qui possèdent des œuvres du peintre seront probablement de plus en plus réticents à se séparer de leurs pièces qui attirent les foules, et les coûts d’assurance pour des tableaux aussi précieux pourraient devenir prohibitifs pour les musées de taille plus modeste.