Robert Smithson : Mundus Subterraneus - Early Works
Mundus Subteraneus, représentation du globe terrestre et des feux qui le traversent, est la plus célèbre planche de l’ouvrage éponyme d’Athanasius Kircher. Robert Smithson l’a copié en 1971. À l’exception de ce dessin contemporain des Sites et Non-Sites de l’artiste, les œuvres réunies (gouaches sur papier, dessins, collages) couvrent la période de 1960 à 1964. Une série tourne autour de la figure du Christ pris en tant qu’archétype. S’y manifeste en même temps qu’un reste d’expressionnisme, le goût des correspondances : crucifié aux allures de plante grimpante, stigmates qui ressemblent à des yeux. Une autre série de dessins (certains exposés en leur temps, d’autres gardés dans les tiroirs) relève plus ouvertement de l’art de l’assemblage et du collage avec un versant pornographie gay très archétypal encore (du saint Sébastien au biker à casquette de cuir). Y apparaissent des télescopages d’images et d’époques tels que l’artiste en produisait dans ses écrits ou dans Spiral Jetty, son chef-d’œuvre de cinéma : préhistoire, science, science-fiction, cinéma, visions lucifériennes. C’est l’autre monde souterrain, celui de l’expérimental et de l’underground. L’affiche du film précité en forme de story-board (présentée avec d’autres documents dans le deuxième espace de la galerie) témoigne de l’omniprésence du dessin dans l’œuvre de Smithson. Dans le journal qui accompagne l’exposition, Adam Rifkin (conseiller pour l’exposition) livre une lecture ego centrée de cette part moins connue de l’œuvre, hommage à un artiste phare qui a aussi révolutionné l’écriture sur l’art.
Du 13 janvier au 24 février 2024, Galerie Marian Goodman, 79 & 66 rue du Temple, 75003 Paris
Grace Weaver : Hotel Paintings
Grace Weaver a trouvé dans la chambre d’hôtel un principe compositionnel et l’argument d’une séquence. Visions plongeantes et frontales, quasi-absence de repères architecturaux, l’espace du tableau et celui de la chambre s’équivalent. On s’y tient nu, un peu à l’étroit, on se tord, on s’étend, on y lit beaucoup, surtout en position couchée, et on y accomplit quelques menues actions. La schématisation des corps et leur faculté de torsion leur donne des allures de pantins ou de personnages de dessins animés. Les bustes sont en forme de poires retournées et ont une « visagéité » qui, lorsqu’un livre vient se poser sur eux, en fait de grands lecteurs étonnés.
Avec une touche large et une peinture un peu épaisse, Grace Weaver peint les corps (mais aussi les fonds et les formes trapézoïdales qui dessinent les meubles) d’un seul tenant et par mouvements concentriques. Sur ces figures tourbillonnantes, elle pose quelques virgules noires pour marquer les jointures, les doigts, les poils peut-être. Plutôt qu’un effet haptique, c’est une impression de glissement. Cette touche fuyante, pressée, associée au thème du voyeurisme, a des références joyciennes dans les titres, bouscule joyeusement les conventions sur le geste pictural et l’expressivité.
Du 13 janvier au 17 février 2024, Galerie Max Hetzler, 46 & 57, rue du Temple, 75004 Paris
Sylvie Selig : Forever sailing around my mind
Octogénaire, révélée à la Biennale de Lyon 2022, Sylvie Selig se définit comme une raconteuse. Si la peinture est son médium de prédilection, c’est par l’écriture d’un texte en langue anglaise que le tableau commence. Elle présente ici deux grands récits sur toile, et une « réécriture » rapide du Petit chaperon rouge, ainsi que des scènes de petit format dessinées et brodées sur toile, et une poupée que l’on dirait chargée de magie.
En ouverture, sur une large bâche à œillets, est présentée la peinture d’une croisière fluviale qui dans l’embarcation et sur les rives mêle humains, animaux, humains à figures animales ou animaux anthropomorphes. L’ensemble est noyé sous des coulures picturales mais qui peuvent aussi figurer la pluie. Le texte à gauche s’ouvre sur l’aube, danses et colombes l’accompagnent, tandis qu’à droite il s’achève sur le noir avec corbeaux, meurtres et désolations. Tableau d’histoire en forme de continuum temporel, scénario pour une procession, on s’invente un récit avec les éléments qui nous sont donnés. Un charme opère, tout comme dans ce cyclorama de table qui fait défiler une toile de dix mètres de long nourrie d’images et de mots. Le texte aux accents mythiques est extrêmement déroutant. Écriture, peinture, éléments scéniques, pré ou paracinéma, Sylvie Selig définit une manière originale d’œuvrer entre les arts.
Du 13 janvier au 4 mars 2024, Mor Charpentier, 61, rue de Bretagne, 75003 Paris
Sena Sasaki : Memorandum
En février 1947, un mémorandum des autorités d’occupation américaines au Japon stipule que sur tous les produits exportés par le pays devra figurer la mention « made in occupied Japan ». Sena Sasaki a copié au crayon, tel un faussaire, et en deux exemplaires, le document tapuscrit. Avec un sceau d’époque, il a imprimé le mot « occupied » en gaufrage sur cinq petits monochromes rouges qu’il présente alignés. Les cinq tableaux sont en plâtre mais leur aspect imite parfaitement la toile sur châssis. Avec un peu d’attention, on observe des différences de teintes entre les tableaux qui vont du vermillon (associé au sang et à la violence) au rouge-orangé (au soleil et à la chaleur). Ces œuvres, en apparence des lieux communs d’un art radical, combinent la réflexion socio-historique, l’expérience perceptive et le thème du simulacre, et d’autres choses encore. Peut-il exister un art marqué du sceau de l’occupation, ou cette empreinte infamante peut-elle définir un mode d’occupation de l’espace pictural ? Le questionnement, bien évidemment, ne s’arrête pas là.
Double Static est un plateau de jeu de Shogi tordu dûment estampillé, objet trouvé, un ready-made in (occupied) Japan posé sur une très grande caisse pour l’exportation. Derrière l’anéantissement de cette plateforme du jeu de stratégie national, on subodore une révision symbolique de l’identité japonaise sur un mode poétique.
Du 12 janvier au 24 février 2024, Petrine, 29 rue des Petites Écuries, 75010 Paris