Le 17 janvier 2024, le World Monuments Fund (WMF), la principale organisation indépendante consacrée à la sauvegarde du patrimoine culturel dans le monde, a annoncé le lancement de sa nouvelle « Climate Heritage Initiative ». Sous cet intitulé, une série de projets, dotés d’un budget de 15 millions de dollars (13,8 millions d’euros), répondent à certains des risques les plus graves pesant sur les sites historiques du monde entier.
L’Unesco estime qu’un site du patrimoine culturel sur six est menacé par le changement climatique, un nombre stupéfiant qui reflète l’urgence de la mission du WMF. L’organisation renforce son engagement en faveur du patrimoine culturel mondial par le biais d’évaluations, de reconstruction matérielle et de différentes méthodes et stratégies adaptées, notamment la réhabilitation des systèmes de stockage et d’acheminement de l’eau en Inde, au Népal et au Pérou.
Dans le cadre de cette initiative, le WMF a nommé un directeur en chef pour la lutte contre le changement climatique chargé de superviser ces actions : Meredith Wiggins, archéologue et chercheuse en environnement, dont les travaux antérieurs ont porté sur les liens entre les environnements naturels et bâtis. Elle prendra ses fonctions le mois prochain.
« Si l’ampleur de la menace que représente le changement climatique pour les sociétés du monde entier est largement reconnue, son impact particulier sur le patrimoine culturel reste sous-étudié, a déclaré Bénédicte de Montlaur, présidente et directrice générale du WMF, dans un communiqué. Notre équipe travaille d’arrache-pied pour faire face aux menaces qui pèsent sur certains de nos sites les plus précieux et pour explorer les solutions potentielles que nous offrent aujourd’hui les bâtiments et les infrastructures traditionnels. À une époque où les changements climatiques et les catastrophes naturelles continuent de frapper les communautés et de mettre à rude épreuve l’environnement bâti, nous pensons qu’en tant que professionnels du patrimoine, nous possédons une expertise unique et précieuse à partager sur la façon de favoriser la résilience par la préservation. »
Les Nations unies prévoient que, d’ici 2050, la demande en eau dans les zones urbaines augmentera de 80 % et que 2,4 milliards de citadins seront confrontés à une pénurie d’eau, tandis que, dans les communautés rurales, les modifications dans le cycle des précipitations et la surexploitation des eaux souterraines continueront à impacter les sources d’irrigation et de pâturage.
Le WMF a mené une enquête nationale sur les réservoirs d’eau et les citernes traditionnels en Inde et a identifié cinq sites – Rajon Ki Baoli, à New Delhi ; Taj Bawdi, au Karnataka ; Kunkavav, au Gujarat ; Jaipur Bawadi, au Rajasthan ; et les temples et ghats de Krishna dans le Maharashtra – pour lesquels la restauration de ces infrastructures historiques aurait le plus grand impact sur l’approvisionnement en eau de la communauté.
Le WMF a constaté qu’au Népal, les systèmes traditionnels de distribution de l’eau de type hiti – des canaux complexes avec de buses sculptées – sont tombés en désuétude dans toute la vallée de Katmandou en raison d’un développement effréné et incontrôlé. Le WMF prévoit de cartographier et de documenter certains hitis et leurs infrastructures, de renforcer leurs capacités et d’assurer la surveillance de leur préservation en collaboration avec les autorités locales.
Au Pérou, le WMF réhabilitera les systèmes andins traditionnels de barrages, de canaux et de bassins de rétention conçus pour stocker les eaux de ruissellement pendant la saison sèche, rendus caducs par la colonisation espagnole.
Le WMF a également orienté ses efforts sur le devenir d’importants jardins historiques, en commandant une analyse paysagère des systèmes de gestion traditionnels afin d’établir les meilleures pratiques face au changement climatique. Le projet « Coastal Connections » de l’organisation vise à créer un réseau mondial de professionnels du patrimoine travaillant à la mise en commun de ressources fiables pour les sites côtiers du monde entier, notamment des séminaires, des études de cas, des guides techniques et des bibliographies de recherche. Le château de Hurst, au Royaume-Uni, sera utilisé comme centre d’échange de connaissances. Coastal Connections s’efforcera également de réduire l’empreinte carbone de la Palm House des jardins botaniques royaux de Kew, à Londres, datant l’ère victorienne, en utilisant des systèmes de chauffage plus efficaces et de l’énergie géothermique durable.
En outre, le WMF dévoilera d’autres projets prioritaires centrés sur les thèmes de la gestion de crises et de la protection du patrimoine. Il s’agit notamment des efforts de sauvegarde de l’ancienne ville d’Antioche, en Turquie, ravagée par un tremblement de terre ; de la restauration du dôme en verre de la Maison des Enseignants, un monument de Kyiv, en Ukraine, endommagé par des missiles russes ; et de la restauration et de la protection du Phnom Bakheng, un temple majeur de Siem Reap, au Cambodge. Les priorités en matière de lutte contre l’exclusion concerneront des projets tels que la transformation d’un lieu de culte abandonné depuis longtemps, la synagogue du quartier de Fabric à Timișoara, en Roumanie, en un centre culturel juif ; la collaboration avec les communautés locales pour créer des pratiques durables de gestion des visiteurs pour les Sand Island Petroglyphs, un ensemble de gravures rupestres couvrant 91,4 mètres de falaise près du Bears Ears National Monument dans l’Utah ; et la deuxième phase d’un plan en cours pour reconstruire l’Old Fourah Bay College endommagé à Freetown, en Sierra Leone.
Le WMF poursuivra également les projets lancés en 2023 lors de son affiliation au Fonds du patrimoine mondial (Global Heritage Fund), notamment sa politique en faveur du tourisme durable dans la ville préhispanique de Ciudad Perdida en Colombie et la préservation de l’architecture vernaculaire traditionnelle du village de Dali, dans la province de Guizhou, en Chine.
« Une importante sagesse traditionnelle a été acquise au fil des générations », a fait remarquer Rohit Jigyasu (chef de projet au Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels) au cours d’une table ronde organisée par le WMF. Avant de conclure : « les communautés se sont toujours adaptées à leur contexte, et celui-ci leur a toujours posé le défi de l’évolution des conditions environnementales… Si vous regardez l’architecture vernaculaire, vous constaterez qu’elle est en grande partie conçue pour contrôler le climat d’une très belle manière ».