Né en Roumanie en 1876, Constantin Brancusi a vécu une grande partie de sa vie à Paris, où il s’est installé en 1904 et décéda en 1957. Avant sa mort, le grand artiste avait décidé par testament de léguer à l’État français son atelier de l’impasse Ronsin, dans le 15e arrondissement, sous réserve qu’il soit reconstitué à l’identique dans sa configuration à la date de sa disparition. Ce riche ensemble comprenant à la fois des œuvres achevées, des ébauches, des meubles, des outils, une bibliothèque, une discothèque et des photographies a d’abord été installé partiellement au début des années 1960 au sein du Palais de Tokyo, alors siège du musée national d’art moderne. Avec la construction du Centre Pompidou, l’atelier a disposé d’un premier espace inauguré en 1977 sur la piazza, avant que Renzo Piano ne conçoive un nouveau bâtiment spécialement dessiné pour lui et inauguré en 1997. Ce dernier a définitivement fermé ses portes le 18 septembre 2023, en amont des travaux du Centre – ce lieu doit accueillir à terme la Bibliothèque Kandinsky –, pour préparer la grande rétrospective que le musée parisien consacrera à l’artiste du 27 mars au 1er juillet 2024, qui suivra la grande exposition organisée à Timisoara en Roumanie jusqu’au 28 janvier.
En effet, le pays d’origine du grand sculpteur n’avait pas accueilli d’exposition d’envergure consacrée à l’artiste depuis 1970 ! Quand Timisoara est choisie pour être capitale européenne de la Culture 2023, elle a dans son programme de rendre hommage à l’enfant du pays. Et l’événement a attiré les foules. Les billets d’entrée ont tous été vendus jusqu’à sa fermeture, soit au total 120 000 entrées, un record absolu pour le Musée national d’art de Timisoara qui l’accueille.
Placé sous le commissariat de Doina Lemny, ancienne conservatrice au Centre Pompidou, le parcours a pour thème « Sources roumaines et perspectives universelles ». Organisée avec la Fondation Art Encounters en partenariat avec l’Institut français de Roumanie, l’exposition s’ouvre sur une œuvre atypique issue des collections du Colegiul National Carol 1er de Craiova, un Écorché qu’il réalise en 1902, juste après avoir achevé ses études à l’école nationale des beaux-arts de Bucarest. Pour réaliser cette œuvre qui n’a jamais été exposée auparavant dans une exposition « Brancusi », l’artiste s’associe au professeur d’anatomie Dimitrie Gerota, ce qui lui permet de représenter avec justesse le corps humain. Le parcours se poursuit par ses premières sculptures – comme le Buste de Petre Stanescu et La Prière (1907) conçus comme un ensemble funéraire (aujourd’hui au musée national d’art de Bucarest). L’exposition est enrichie par un grand nombre de photographies de Brancusi, souvent issues de la collection de David Grob, comme cet Autoportrait avec son chien polaire devant son atelier. Le parcours, qui se déploie dans une atmosphère sombre, se poursuit par certains des chefs-d’œuvre de l’artiste, comme Le Baiser (1923-1925), La Muse endormie (1910), Mlle Pogany I (1912-1913)… Les prêts ont été consentis par le Centre Pompidou, qui a reçu un important legs de l’artiste en 1957, mais aussi par la Tate à Londres, qui a prêté trois œuvres sur les quatre de ses collections : Danaïde (1918), Maiastra (1911) et Poisson (1926).
La visite s’achève par la Colonne sans fin III, une pièce de trois mètres de haut réalisée en bois, et par une évocation de l’ensemble monumental de Târgu Jiu. Il ne faut pas loin de quatre heures de route pour rejoindre ce site, situé non loin de la maison natale de l’artiste et son architecture de bois, dans le village de Hobita, près de Pestisani. Pour les rives du Jiu, Brancusi a conçu un groupe de pièces qui se déploient sur un axe jusqu’à la rivière. Se dresse d’abord la Colonne sans fin, haute de vingt-neuf mètres, œuvre iconique de l’artiste. À l’entrée du Parc central, l’artiste a imaginé La Porte du Baiser, qui apparaît comme un arc de triomphe de cinq mètres de haut. L’alignement s’achève par La Table du silence cernée de douze tabourets. Cette commande de la Ligue nationale des femmes de Gorj pour honorer les soldats qui avaient défendu Târgu Jiu pendant la Première Guerre mondiale fut inaugurée en 1938. Elle constitue le seul ensemble de cette dimension laissée par l’artiste. Un don majeur à la Roumanie, son pays d’origine.
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« Brancusi. Sources roumaines et perspectives universelles », jusqu’au 28 janvier 2024, Musée national d’art de Timisoara, Piaţa Unirii, Nr.1, Timisoara, Roumanie