C’est sous un soleil radieux que s’est tenue la semaine dernière la 20e édition de Zona Maco à Mexico. La foire a réuni sous un même toit art contemporain, photo, design et même antiquités au premier étage du vaste centre d’expositions Citibanamex. Un peu excentré par rapport à Downtown, ce dernier est toutefois proche de Polanco, secteur qui combine quartiers d’affaires et résidentiels huppés et où se dresse le bâtiment du Museo Jumex. L’institution privée lancée par Eugenio López, et devenue un flambeau pour l’art contemporain au Mexique, fête ses dix ans avec une sélection de sa collection de haut vol curatée par Lisa Phillips, directrice du New Museum de New York.
Le baromètre est au beau fixe pour Mexico. « Depuis sept ans que je suis conservateur en chef du Museo Jumex, la scène artistique est passée d’un petit noyau à une scène bien plus large : davantage d’artistes veulent exposer ou s’installer ici, des galeries internationales y ouvrent des espaces », observe Kit Hammonds. La galeriste de Chicago et de Paris Mariane Ibrahim, entre autres, a récemment ouvert une succursale à Mexico. La König Galerie vient tout juste d’inaugurer un espace dans le quartier branché de Condesa pendant la semaine des foires.
Le marché s’est aussi considérablement étoffé avec pas moins de trois foires satellites autour de Zona Maco. Toutes sont réunies dans un même périmètre de Colonia Juarez : Material, Salon Acme et un nouveau venu cette année, Unique Design, dédié au design contemporain et organisé par Morgan Morris. Sans compter d’innombrables vernissages en galeries, ouvertures d’ateliers d’artistes, fêtes et autres événements pop-up. Les Français étaient loin d’être absents, tels ORLAN célébrée par la galerie Terreno Baldío Arte et qui participait au programme des Conversations de Zona Maco, ou Jérôme Sans, commissaire d’une exposition autour de Julian Charrière à LagoAlgo, un espace polyvalent au bord d’un lac de l’immense parc de Chapultepec, le poumon vert de Mexico.
Mexico serait-il un nouvel eldorado ? Au-delà de l’attraction puissante de cette agglomération tentaculaire de 22 millions d’habitants, et du Mexique, une frange croissante de la population s’intéresse à l’art contemporain. Sans compter des acheteurs venus du reste de l’Amérique latine… Mais ce sont avant tout les Américains qui irriguent désormais ce marché. Des Américains que l’on croise partout en ville comme dans les allées des foires où les prix sont affichés en dollars. Et qui achètent. À Zona Maco, « nous avons vendu dès le jour de l’ouverture dix œuvres sur nos deux stands, l’un étant consacré à Joana Choumali, à 80 % à des Américains, entre 5 000 et 50 000 dollars. Certains Américains se sont décidés en une minute ! », explique César Lévy, directeur de la 193 Gallery, de Paris et Venise. Plus vite sans doute que les Mexicains… Au milieu d’enseignes majoritairement latino-américaines, américaines ou espagnoles, d’autres Français, mais peu nombreux, tel Eric Mouchet, participaient à la foire.
Même son de cloche chez kurimanzutto, qui joue à domicile et dont l’un des artistes, Carlos Amorales, a réalisé en ville une performance dans l’incroyable nef couverte de murals du Poliforum. « Nous avons vendu à des Mexicains et à des Américains de Los Angeles, San Francisco ou New York, précise sur le stand Karen-Sofie Kvamme. Mais nous avons vu par ailleurs bien plus d’Européens que l’année dernière. Mexico est en train de renforcer sa présence sur la carte internationale de l’art ! ». L’enseigne proposait notamment une installation murale d’Abraham Cruzvillegas pour 60 000 dollars.
Ces Américains dont certains cultivent des liens originels avec l’Amérique latine, raffolent de Mexico, exotique et encore abordable, accessible en quelques heures d’avion seulement depuis la Californie ou la Floride. De plus en plus y télétravaillent ou y ont un pied-à-terre… Jana et Guillermo Gonzalez, installés à Los Angeles, ont quant à eux choisi d’ouvrir pendant l’art week une exposition à l’Olivia Foundation à Roma Norte, Downtown. Sous le commissariat de Diana Nawi, ils présentent un florilège de leur collection, de Louise Bourgeois à Roni Horn en passant par Helen Frankenthaler ou Tracey Emin, avec un accent plutôt classique mis sur la peinture.
La méga-galerie Pace était quant à elle de retour à Zona Maco après plusieurs années d’absence. « Mexico est devenu un hub global. C’est bien d’y revenir », expliquait l’un des employés. L’enseigne proposait entre autres une installation de papillons de Kiki Smith à 125 000 dollars ou une peinture de Roberto Matta à 650 000 dollars. Toutefois, les prix sur la foire restaient en général inférieurs à 100 000 dollars. « Zona Maco s’est imposée comme la principale foire d’Amérique latine. Intelligemment, ses organisateurs ont compris qu’il ne fallait pas hausser davantage le niveau des prix », confiait Sam Keller, directeur de la Fondation Beyeler (Riehen, Suisse) et familier de Mexico, croisé dans une allée.
Plusieurs Parisiens qui ont autrefois exposé à Zona Maco ont fait le choix de participer à Material, qui fêtait ses dix ans à Expo Reforma. Cette foire pour le moins éclectique et haute en couleurs, comme ses visiteurs, a pris de l’importance au fil du temps. Responsable de la Collection Jumex, Patricia Marshall, qui séjourne une partie de l’année à Mexico, a beaucoup aimé « les stands des galeries de Mexico Mascota et General Expenses et ceux des Parisiens Jousse Entreprise et Laurent Godin », confie-t-elle.
« C’est pour nous une reprise de contact avec la ville et nos anciens collectionneurs », résume ce dernier, qui montrait des œuvres de Michel Dector, Claude Closky, Gonzalo Lebrija, Haim Steinbach et Marilou Poncin. Et d’ajouter : « Mexico, c’est sexy ! La capitale est devenue un hub entre l’Amérique du Sud et les États-Unis, il y a ici une énergie incroyable et c’est plus facile de créer des liens avec les collectionneurs qu’en Europe ». Quant à Philippe Jousse, qui participait à Material avec le soutien du Cnap (participation à une foire à l’étranger), il note « la gentrification de Mexico » et a vendu des pièces de Simon Martin et Nathanaëlle Herbelin à des Américains.
La boutique fair Unique Design se déroulait pour la première fois dans le même bâtiment, regroupant une dizaine d’exposants et créateurs contemporains, pour certains avec le soutien du Mobilier national. « Le Mexique sort d’une longue période compliquée, le pays est en plein renouveau et il fait saisir cette énergie. Il y a ici un énorme potentiel pour le savoir-faire de haut niveau en design », confie Morgan Morris, fondatrice de la foire.
Petit bémol : l’atelier belge Zaventem regroupant plusieurs designers. a vu leurs pièces bloquées en douane pour des raisons peu explicites, l’un des derniers motifs invoqués étant que ses services avaient été hackés… Les artistes, sur place, ont alors improvisé des répliques en carton de leurs œuvres sur le stand… Cette fâcheuse mésaventure est arrivée à des exposants de plusieurs foires, notamment l’Américaine de Miami Melanie Prapopoulos. Cette jeune enseigne, The Camp Gallery, a vu les œuvres de Manju Shandler elles aussi bloquées en douane. L’artiste a alors orné les cloisons du stand de dessins… L’expérience est amère pour la galeriste. Les galeries étant confrontées à des taxes à l’importation sur les œuvres d’art de 22 % et à des problèmes douaniers récurrents au Mexique, de toute évidence les directeurs des foires devraient nommer un intermédiaire chargé d’anticiper ces déconvenues, les marchands restant leurs premiers clients.
À quelques « blocs » de Material, le Salon Acme, sans doute l’événement le plus frais de cette art week, célébrait également ses dix ans. Cette plateforme créée par et pour les artistes se déployait autour d’un vaste patio dans l’un des bâtiments anciens et luxuriants de Proyectos Publicos. Cette structure polyvalente gère plusieurs lieux et chambres d’hôtes dans Mexico. Points forts du salon : une section principale dévoilant le travail de 80 artistes sélectionnés par un comité, souvent piquant, à l’instar de l’œuvre murale de Chavis Marmol ; et Projects, 27 salles accueillant chacune un artiste représenté par une galerie. Une profusion réjouissante et foisonnante d’œuvres et d’artistes, à l’image de Mexico !