Günter Brus, l’une des plus importantes figures de l’actionnisme viennois, est décédé. Cofondateur du mouvement avec Otto Muehl, Hermann Nitsch et Rudolf Schwarzkogler, il s’est éteint samedi 10 février à Graz, en Autriche, sa ville natale. Il était le dernier survivant parmi les fondateurs de l’actionnisme. Son décès survient moins d’une semaine avant l’ouverture à la Kunsthaus Bregenz (Autriche) d’une importante exposition de son œuvre (du 16 février au 20 mai 2024), qui comprend près de 500 pièces réalisées tout au long de sa carrière, longue de plus de six décennies. Günter Brus avait 85 ans.
« L’équipe de la Kunsthaus Bregenz pleure la perte de cet artiste extraordinaire. Brus est l’un des [artistes] les plus importants de l’après-guerre et son départ est une perte immense pour l’histoire de l’art autrichien », a déclaré Thomas D. Trummer, directeur de la Kunsthaus Bregenz. Ajoutant : « Brus était un dessinateur, un artiste actionniste, un poète, un intellectuel et un visionnaire. Ses œuvres témoignent d’un examen profond des thèmes de l’humanité et de l’existence ».
Brus est né dans le village autrichien d’Ardning en 1938, l’année même où le pays a été annexé par l’Allemagne nazie. La question et la critique de ce chapitre sombre de l’histoire de son pays natal deviendront par la suite des éléments centraux dans l’œuvre de l’artiste. Il a étudié à la Kunstgewerbeschule de Graz avant d’entrer à l’Académie des beaux-arts de Vienne, qu’il a quittée en 1960.
À cette époque, il crée des peintures inspirées par les expressionnistes abstraits en vogue aux États-Unis. Brus a très vite intensifié les éléments gestuels utilisés par ces artistes et les processus corporels que ces peintures mettaient en œuvre en impliquant explicitement son propre corps dans sa pratique et en l’utilisant comme médium pour ses créations elles-mêmes. Dans des pièces telles que Vienna Stroll (1965), par exemple, Brus s’est peint en blanc avec une bande noire au centre du visage et du corps – se transformant en une image qui évoque une œuvre de Franz Kline ou de Jackson Pollock – avant de se promener sur la Heldenplatz de Vienne. La performance a pris fin lorsqu’un policier l’a verbalisé pour trouble à l’ordre public.
Aux côtés de celui de ses compagnons actionnistes, le travail de Brus s’est développé à la fois en favorisant une utilisation extrême du corps qui repousse les limites et grâce à ses messages politiques explicites. En 1968, les actionnistes sont invités à se produire à l’université de Vienne, où ils mettent en scène l’œuvre Art and Revolution, dans laquelle Brus urine, défèque, se masturbe et se coupe tout en chantant l’hymne national autrichien. Cette performance a valu à l’artiste d’être poursuivi pour « dégradation de symboles de l’État ». Afin d’éviter une incarcération, il s’est réfugié à Berlin-Ouest avec sa femme et sa fille, où la famille a vécu pendant une décennie avant de retourner en Autriche. « À Berlin, nous avons trouvé une société ouverte et tolérante, libérale, a-t-il déclaré au New York Times en 2018. Ma femme ne savait même pas à quoi ressemblait la police pendant les deux premières années ».
Une performance de 1970 intitulée The Real Test, qui comprenait des gestes d’automutilation tels que se couper avec une lame de rasoir et se frapper, fut la dernière performance de Brus, car il estima alors avoir atteint ses limites physiques. Pendant le reste de sa carrière, son travail s’est orienté vers d’autres médias, notamment le dessin, la peinture, le film et ce qu’il décrivait comme des poèmes illustrés, dont beaucoup contenaient à la fois un texte écrit et une illustration. « Je ne pouvais plus supporter ces lourdes blessures, a-t-il déclaré dans un entretien accordé en 2016 à The Art Newspaper. Mes actions n’étaient pas théâtrales comme celles de Nitsch ou de Muehl ; elles me concernaient et je ne pouvais pas continuer à m’automutiler indéfiniment ».
Bien qu’il soit resté très célèbre pour ses performances actionnistes, celles-ci n’auront duré que moins d’une décennie. C’est l’ensemble de ses travaux ultérieurs – en particulier les dessins et les peintures – qui ont consolidé la carrière de Brus au cours des décennies suivantes et qui ont constitué l’essentiel de son œuvre. Les préoccupations premières de ces créations ultérieures sont restées dans la lignée de ses performances : dans celles-ci, Brus a fréquemment livré des images du corps dans diverses contorsions et interprétations, et il n’a jamais cessé d’explorer et de puiser dans nos pulsions et nos instincts les plus primaires.