Philip Seibel : Warmth
Les œuvres de Philip Seibel sont généralement des parallélépipèdes en métal ou en imitation de métal dans des couleurs beiges ou grises. Quelques détails : portes, rainures, indicateurs lumineux éteints, évoquent tour à tour des coffres, des boîtiers électriques, des hottes de chauffage ou de climatisation. Ses œuvres sont le plus souvent fixées en hauteur, idée qui lui vient des édifices religieux et qu’il associe à la transcendance. Dans l’un de ces blocs, une ouverture fait apparaître un détail de relief médiéval en bois (en réalité une copie en cire), la jambe d’un christ probablement. Mince allusion au sacré non loin de quelques fines taches de peinture imitant une trace laissée par le chauffage.
Pour cette présentation, il a fait poser deux stores de séparation blancs, dits californiens, de ceux que l’on trouve dans les espaces de bureaux. L’un sert à isoler une œuvre plus discrète, l’autre interdit l’accès à la dernière salle. Dans celle-ci, une œuvre est accrochée à l’emplacement exact qu’elle occupait dans une précédente exposition de groupe. Une autre œuvre exposée dans la cave de la galerie n’est visible que par une série de plans fixes enregistrés et diffusés sur un écran à l’entrée.
Philip Seibel combine ces stratégies conceptuelles, d’une rare subtilité, avec un goût prononcé pour l’artisanat, aussi bien dans les sculptures déjà évoquées que dans un étrange objet qui tient du clavecin et du mobilier de bureau. Un double regard fait d’attention fine et de détachement qui n’exclut ni l’histoire personnelle, ni le sentiment.
Du 10 février au 9 mars 2024, Lo Brutto Stahl, 21 rue des Vertus, 75003 Paris
Julia Scher : The Mammoth book of Eyewitnesses
Au milieu des années 1980, Julia Scher a déplacé l’usage des caméras en circuit fermé par les artistes de la phénoménologie vers une réflexion sur les sociétés de contrôle telles que théorisées par Michel Foucault. Ses installations participatives, portées par la firme Security by Julia, mettaient en jeu l’omniprésence de la surveillance au sein de la société, mais aussi le désir d’être sous l’œil de la caméra.
Autour de Baby Bed (2003) de la série des Surveillance Beds, elle offre dans cette présentation de pièces récentes un condensé des thèmes qui traversent son œuvre. Dans Baby Bed, des caméras miniaturisées et leur fils sont posées en vrac sur le sommier, et le minuscule écran de diffusion est glissé sous le lit. Le regard panoptique et sa symbolique ont laissé la place à des capteurs d’images en rapport intime avec le corps.
Dans une série d’œuvres, elle a fixé sur des panneaux d’aluminium peints en rose, des équipements obsolètes : caméras, disques durs, claviers de Mac, câbles. Tableaux d’une époque révolue et regard teinté de nostalgie sur ses outils d’artiste. Sur un grand miroir circulaire, Avi Loeb réunit miroir convexe, caméra de surveillance et télescope. Éloge de la vision ou moderne vanité ?
Enfin, avec deux Hiboux, Bernadette et Jacqueline, en marbre d’un mètre de haut, observateurs-nés, elle ouvre un nouveau département dans son imaginaire muséal. Quant à The Mammoth Book of Eyewitnesses, titre de l’exposition, c’est aussi celui d’un énorme livre de pages blanches, hommage à tous ceux qui ont tout vu mais n’ont rien dit.
Du 10 février au 23 mars 2024, Esther Schipper, 16 place Vendôme, 75001 Paris
Babi Badalov : To Walk, To Work, To Die
La présentation conjointe d’une exposition de Nikita Kadan, artiste ukrainien porté par une écriture rageuse, et d’une exposition de Babi Badalov, d’origine azéri ayant fui la Russie, porté par une écriture joyeuse où la révolte a aussi sa place, n’est pas fortuite, ni simplement circonstancielle.
Dans la Project room, Nikita Kadan expose des fragments de verre d’une école ukrainienne fondus par l’incendie de celle-ci, mais aussi de grands dessins au fusain. Un dessin de ruines de Kiev, un dessin de ruines à Gaza. Sur l’un est fixé une image d’une sculpture d’un buste de Giacometti, sur l’autre une image d’une œuvre de Brancusi. On veut y voir un acte de foi. De la série des Repeating Speeches, ces dessins-cris dans lesquels l’artiste trace et retrace à plusieurs reprises un même slogan, simple et direct, on retient : « Stop all genocides ».
Badi Badalov semble avoir transporté dans la galerie un atelier (l’étroit tapis au-dessus duquel il peint se trouve sur le chemin) autant qu’un salon. Son écriture-dessin se trouve aussi bien sur des toiles au mur que sur d’autres au sol et même sur des coussins. Cela tient à la fois de l’accrochage et du déballage. Cet artiste et poète est connu pour donner à ses textes en anglais des airs de hiéroglyphes. Mots simples, mots-valises, lettres qui s’accrochent ou se suspendent les unes aux autres, font des boucles qui suggèrent des yeux ou tracent bien souvent des profils. Ceux-ci semblent tantôt déborder du langage, tantôt servir de porte-voix ou d’amplificateurs des idées exprimées. Au meilleur de cette écriture, on peut par exemple lire : Follow Low, Fall Flow, Fall Law. En trois lignes, trois colonnes, six visages, en bouleversant la syntaxe, on glisse d’une position humble à une contestation de la loi. Et derrière ces mots encore d’autres que l’on devine ou que l’on imagine.
Du 9 février au 9 mars 2024, Galerie Poggi, 135 rue Saint-Martin, 75004 Paris
Pauline-Rose Dumas : Between Lines
Pauline-Rose Dumas bâtit son travail sur un système d’échanges entre la forge et l’atelier de couture. Deux sculptures en fer forgé se tiennent debout, pareilles à des rubans qui s’élèveraient pour tracer des boucles dans l’espace. Des fils s’en échappent et l’une d’elles repose sur une feuille qui ressemble à un patron. Sur les murs latéraux, un groupe de dessins et de sculptures qui présentent un même motif : des aiguilles de couture suspendues à un anneau à moins que ledit anneau ne soit un fil traversant les chas des aiguilles pour dessiner un cercle, ou encore un simple trait de fer ou d’encre qui tourne sur lui-même. Où s’arrête la représentation et où commence la liberté du dessin ?
Sur le mur du fond sont suspendues deux compositions abstraites sur tissu (montage d’images de détails d’architecture) qui font un tramage. Au-dessus, un mètre ruban et sur le côté droit une longue règle verticale, les deux en fer. Ces instruments nous maintiennent dans la thématique en même temps qu’elles semblent rappeler à la mesure ces toiles libres.
Cette investigation engagée sur la sculpture et le dessin, cet univers en apparence clos où l’aiguille joue à filer les métaphores, offre aussi des clés pour l’imaginaire.
Jusqu’au 2 mars 2024, Galerie Anne-Laure Buffard, 6 rue Chapon, 75003 Paris