Un masque africain rétabli comme chef d’œuvre fang provenant du Gabon, un achat à 150 euros pour une revente à 4,2 millions d’euros, un couple désorienté face à un brocanteur ayant réussi le « casse du siècle », tous les éléments étaient réunis afin que la presse prenne fait et cause pour des vendeurs souvent considérés comme floués. Mais le tribunal judiciaire d’Alès (Gard) a refusé, le 19 décembre 2023, d’annuler la vente en raison de l’erreur inexcusable des vendeurs, bien que la description de l’objet litigieux s’avérait inexacte lors de la transaction judiciairement attaquée.
Cette décision de première instance peut apparaître comme une sanction à l’encontre des vendeurs. Et tel est bien le cas. Ces derniers auraient dû douter, faire appel à la mémoire familiale et se renseigner davantage sur les conditions dans lesquelles l’objet avait intégré leur résidence secondaire, avant d’être délaissé et oublié puis vendu à un prix dorénavant jugé dérisoire.
Asymétrie d'information
Décrit au sein de la facture établie par le brocanteur en 2021 comme « un masque africain avec raphia troué à restaurer, boucle d’oreille en tissu rouge, hauteur 54 cm », l’objet n’avait pas été dûment présenté comme un « authentique masque fang offrant un intérêt majeur pour l’histoire de l’art », puisqu’il n’existerait qu’une petite dizaine d’autres spécimens de référence connus dans le monde. En ce sens, les vendeurs s’étaient bien fait une représentation inexacte des qualités essentielles de l’objet, ce dernier n’étant pas qu’un simple masque d’origine africaine selon le tribunal judiciaire.
Pour autant, cette distorsion entre la croyance d’une partie au moment de la conclusion d’un contrat et la réalité judiciairement constatée ne suffit pas en elle-même à accueillir juridiquement l’existence d’une erreur sur des qualités essentielles qui auraient été déterminantes du consentement. L’article 1132 du Code civil ajoute à ces deux conditions une clause complémentaire, celle du caractère excusable de l’erreur. Et ce n’est pas tant la compétence professionnelle d’une personne qui commande le caractère inexcusable de l’erreur qu’elle peut commettre, mais bien les circonstances entourant son intervention à un acte juridique. Si les anciens propriétaires ne disposaient d’aucun savoir en matière d’histoire de l’art, et plus particulièrement de masques fang, ils avaient néanmoins connaissance de la présence d’objets africains au sein de leur résidence secondaire et, surtout, du fait que ces objets avaient été rapportés par l’ancêtre de l’un des époux, ancien lieutenant-gouverneur du Moyen-Congo de 1917 à 1919.
Le tribunal note à cet égard que « leur connaissance de la biographie de leur ancêtre est en outre incontestable dès lors que les vendeurs ont pu utilement renseigner le brocanteur sur l’origine du masque, au moment de la vente et postérieurement à cette dernière ». Selon le tribunal, il existait donc une asymétrie d’information manifeste au bénéfice des seuls vendeurs, et non de l’acheteur, quant aux qualités essentielles du masque, notamment son authenticité et son origine. Or, les vendeurs n’ont engagé aucune démarche antérieure à la vente afin de faire évaluer le masque litigieux, alors même qu’il « existe aujourd’hui des possibilités multiples pour faire estimer gratuitement ses biens ».
Manque de diligences
Au-delà du défaut de se remémorer l’histoire familiale, il est ainsi reproché aux vendeurs de ne pas avoir sollicité les services d’un tiers expert. Et le tribunal relève que l’absence de diligences des vendeurs pour apprécier la valeur intrinsèque du bien vendu contraste avec celles accomplies par l’acheteur, postérieurement à la vente. En effet, ce dernier, qui n’avait lui non plus aucune connaissance précise en matière d’art africain, a requis dès le 7 octobre 2021 une évaluation par plusieurs maisons de ventes, dont l’une a finalement fait réaliser des analyses spécifiques et sollicité des experts spécialistes afin de parvenir à authentifier le masque. Ainsi, alors même que l’acheteur n’était pas plus instruit en histoire de l’art africain que les vendeurs, celui-ci a accompli des requêtes habituelles qui semblaient être nécessairement attendues des vendeurs dès lors que ceux-ci possédaient une connaissance particulière de l’historique de l’objet.
Ce manque de diligences est souligné une dernière fois par le tribunal qui relève que « pressés de débarrasser leur maison secondaire, les époux ne se sont pas préoccupés des biens qui la garnissaient, en particulier de ceux qui se trouvaient au grenier. Alors qu’ils étaient en possession d’éléments attestant l’authenticité, l’origine et l’histoire du masque fang qu’ils détenaient, ils n’ont fait preuve d’aucune diligence pour apprécier la juste valeur historique et artistique du bien ». Et le tribunal de conclure que « leur négligence et leur légèreté déterminent le caractère inexcusable de leur erreur et ils seront en conséquence déboutés de leur demande d’annulation de la vente à ce titre ». Le rejet judiciaire de l’erreur sur les qualités essentielles apparaît donc ici fondé sur l’idée d’un manquement des vendeurs à une nécessité de se renseigner.
Pareille obligation semble avoir pleinement vocation à être considérée dès lors que vendeurs et acheteur étaient situés à un même niveau de savoir en histoire des arts africains, chacun dans cette affaire étant profane, qu’aucune expertise préalable n’avait été confiée par les premiers au second et que seuls les vendeurs étaient informés de l’origine familiale particulière du masque au moment de la vente. La symétrie en matière de connaissance du domaine concerné ainsi que l’absence de mission d’expertise peuvent apparaître comme des critères pertinents afin de mettre en perspective la solution retenue dans la célèbre saga judiciaire du Poussin des époux Saint-Arroman (1978-1983).
Dans cette dernière affaire, l’œuvre avait été confiée en vue de sa vente aux enchères publiques à un commissaire-priseur réputé, assisté d’un expert tout aussi réputé, avant d’être finalement acquise par la Réunion des musées nationaux, puis exposée sans réserve comme une œuvre de Nicolas Poussin par le musée du Louvre, à Paris. Pareille configuration ne saurait alors être transposée à la situation spécifique de la vente du masque fang dorénavant remise en cause. Enfin, si la portée de cette décision peut être renversée en raison d’appel, le jugement du tribunal d’Alès invite néanmoins tout propriétaire d’une œuvre d’art à employer toutes les diligences possibles lorsque l’histoire et la tradition familiales entourent l’objet proposé à la vente d’une aura informationnelle particulière.