Une artiste péruvienne, qui tisse avec une fibre de coton indigène interdite sous la domination coloniale espagnole, fait partie des quatorze artistes qui bénéficieront d’un nouveau partenariat entre la Fondation Cartier pour l’art contemporain à Paris et la Biennale de Sydney, dont la prochaine édition ouvre le 9 mars. Cristina Flores Pescorán, installée à La Haye, utilise un type de coton péruvien appelé Gossypium barbadense pour créer ses œuvres. Connue pour ses longues fibres brillantes, cette plante était un élément essentiel de la société péruvienne précoloniale. Cependant, son utilisation a été interdite pendant la colonisation, car on pensait que ses tons naturels de terre « contaminaient » la variété préférée, le coton blanc pur.
Cristina Flores Pescorán utilise des techniques de tissage de la culture Chancay qu’elle a apprises auprès de l’artisan spécialisé Esteban Nazario Redondo. En privilégiant la beauté naturelle du coton indigène, Cristina Flores Pescorán espère renouer avec une tradition de ses ancêtres jusqu’ici « considérée comme morte », a-t-elle affimé à The Art Newspaper.
Le partenariat entre la Fondation Cartier et la Biennale de Sydney a débuté en 2022 avec la première australienne de The Great Animal Orchestra, une symphonie de Bernie Krause, pionnier américain de l’écologie du paysage sonore. L’œuvre avait été présentée au sein de l’espace parisien de la Fondation, boulevard Raspail, en 2016.
Le partenariat de cette année va beaucoup plus loin. Un nouveau poste de conservateur des Premières nations a été créé à la Fondation Cartier à Paris. Le célèbre artiste autochtone australien Tony Albert en est le premier bénéficiaire. Ce dernier a expliqué à The Art Newspaper que son rôle consistait à travailler en étroite collaboration avec les quatorze artistes en vue de la production de leurs œuvres pour la Biennale. Ces créateurs, qui font partie d’un groupe beaucoup plus important d’artistes indigènes participant à la manifestation, ont été choisis par la Fondation Cartier et les directeurs artistiques de la Biennale 2024, Cosmin Costinaş et Inti Guerrero. La Fondation Cartier soutient depuis de longues années des artistes indigènes issus de différentes cultures du monde.
L’une des artistes sélectionnées est Mangala Bai Maravi, fille d’un tatoueur Baiga du village de Lalpur, dans le Madhya Pradesh, en Inde, qui traduit sur papier et sur toile des motifs de tatouages tribaux.
Orquídeas Barrileteras, un collectif guatémaltèque exclusivement féminin, exposera ses cerfs-volants colorés au design complexe, utilisés pour célébrer la vie et la mort.
L’artiste indigène australienne Kaylene Whiskey, dont les peintures sont un mélange vibrant d’icônes de la culture pop telles que Dolly Parton et Tina Turner et d’éléments tirés de la culture traditionnelle Anangu, a également été sélectionnée.
Tony Albert a rencontré toute l’équipe de la Fondation Cartier à Paris l’année dernière, « ce qui lui a permis de mieux comprendre le travail qu’elle accomplit ». Sa principale mission est de positionner la nouvelle bourse pour qu’elle soit utilisée avec succès lors des prochaines éditions, bien que la Fondation se soit seulement engagée à poursuivre l’initiative pour la Biennale de cette année et la suivante, en 2026.
« Il y a tellement de possibilités : allons-nous passer l’une des commandes en dehors de la Biennale au bénéfice la Fondation ?, s’ interroge-t-il. J’aime le fait que les choses ne soient pas figées. C’est assez flexible dans la façon de procéder, ce qui est plus conforme aux principes et aux façons de penser et de travailler des indigènes. Le fruit de ce travail pourrait même être basé sur le Territoire. »
Selon Tony Albert, le succès de l’exposition « Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori » à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, à Paris, en 2022, a conduit la Fondation à regarder vers l’Australie, un pays auquel elle ne s’était jusqu’alors que peu intéressée.
Ce partenariat avec la Biennale de Sydney « démontre de manière concrète notre détermination à promouvoir la diversité, l’inclusion, l’innovation artistique et l’excellence », a déclaré Hervé Chandès, directeur artistique de la Fondation Cartier pour l’art contemporain. Avant d’ajouter : « Il reflète notre volonté de donner aux communautés des Premières nations les moyens de partager leurs valeurs et souligne le rôle crucial que joue la prise en compte de leurs voix au moment où nous devons faire face aux défis de notre planète. »
Tony Albert, « The Garden + Forbidden Fruit », Sullivan + Strumpf, Sydney, Australie, jusqu’au 9 mars 2024.
Biennale de Sydney, du 9 mars au 10 juin 2024, divers lieux, Sydney, Australie.