Une société suisse qui utilise l’intelligence artificielle (IA) pour authentifier des tableaux de maîtres anciens affirme que le portrait d’une paysanne a de fortes chances d’avoir été réalisé par l’un des plus grands artistes de la Renaissance allemande, Albrecht Dürer. Cette conclusion alimente le débat sur la question de savoir si l’IA peut remplacer l’œil et l’expertise humains dans l’attribution d’un tableau.
Carina Popovici, présidente-directrice générale de la société Art Recognition, basée à Zurich, a présenté ses recherches sur l’œuvre Vna Vilana Windisch (1505) lors de la conférence Art Business qui s’est tenue à la foire Tefaf Maastricht le 8 mars 2024. L’œuvre provient d’une collection privée européenne.
« Nous avons entraîné l’IA sur Dürer à l’aide d’un ensemble de données comprenant 144 images d’œuvres d’art authentiques exécutées à l’encre noire et brune, ainsi qu’à la craie et au fusain, a-t-elle précisé lors de sa présentation. L’IA a également été nourrie d’un nombre à peu près égal d’exemples négatifs (images d’imitations, de contrefaçons, d’œuvres produites par des artistes s’inspirant du style de Dürer et d’images générées dans ce même style par une GenAI – une intelligence artificielle générative). Après cette phase d’entraînement, nous avons procédé à une analyse détaillée de Vna Vilana Windisch. L’IA a déterminé que l’authenticité de l’œuvre était d’environ 82 %. »
« L’œuvre est signée et datée de la main même de Dürer. Par conséquent, Art Recognition n’attribue pas l’œuvre à Dürer ; la société confirme sa paternité », a déclaré à The Art Newspaper un porte-parole de la collection qui a consigné l’œuvre. Et d’ajouter : « J’espère que [cette pièce] sera présentée dans un musée, car une telle œuvre devrait être appréciée par tout le monde ; par conséquent, une collection publique est la plus appropriée ».
Au cours de la conférence, Carina Popovici est également revenue sur les autres recherches entreprises sur cette œuvre depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui. « Elle a fait l’objet de divers examens, y compris l’authentification par l’AI que nous avons effectuée. Les avis des experts en art sont partagés : certains sont en faveur de l’authenticité, tandis que d’autres la contestent », a-t-elle déclaré.
Cette œuvre a, en effet, divisé les historiens de l’art au cours des cinquante dernières années. Les experts de l’artiste, notamment Theodor Musper et Herbert Peter, ont conclu que le portrait de la paysanne était indéniablement authentique, rappelle Carina Popovici. Elle ajoute que l’œuvre a été attribuée à Dürer dans le catalogue de l’exposition « Dasein und Vision » qui s’est tenue à l’Altes Museum de Berlin en 1989.
Une autre version de cette œuvre de Dürer – un dessin – se trouve dans la collection du British Museum À Londres. « Le Dr J. Rowlands, du British Museum, a été l’une des personnalités les plus sceptiques. En 1993, il a déclaré que l’œuvre sur vélin [présentée à la conférence de la Tefaf] n’était pas authentique. Nous notons qu’une deuxième version de la paysanne [sur papier] est détenue par le British Museum. L’expert considère que seule la version sur papier est authentique. »
Carina Popovici souligne toutefois que la signature de l’œuvre a été analysée par Castor Iglesias, le président du comité espagnol d’experts en écriture, afin d’étayer les arguments en faveur de l’authenticité. « Il a inspecté le monogramme, l’écriture et la date en les comparant aux lettres manuscrites de Dürer… Sa conclusion a été que la signature était sans aucun doute authentiquement autographe de Dürer. »
Art Recognition, fondée il y a cinq ans, dispose d’un programme d’intelligence artificielle qui, selon la société, « offre une évaluation précise et objective de l’authenticité d’une œuvre d’art ». Sur son site Internet, la société affirme avoir réalisé plus de 500 expertises, vérifiant des œuvres contestées telles qu’un autoportrait de Vincent van Gogh datant de 1889 et conservé au musée national d’Oslo.
L’année dernière, Art Recognition s’est trouvée au cœur d’une polémique à propos d’un tableau connu sous le nom de Tondo de Brécy, attribué à Raphaël. En janvier 2023, une analyse réalisée par deux universités britanniques (de Bradford et de Nottingham) à l’aide d’un logiciel de reconnaissance faciale assistée par ordinateur a conclu que les visages de l’œuvre étaient identiques à ceux d’une autre peinture de Raphaël, La Madone Sixtine (vers 1513), affirmant ainsi que le Tondo de Brécy était de la main du maître. De son côté, Art Recognition, qui a également analysé l’œuvre, a affirmé que le Tondo de Brécy n’était pas de Raphaël, avec une probabilité de 85 %.