L’art de Pier Paolo Calzolari – l’un des éminents représentants de l’arte povera –, par ses matières brutes, la dimension de ses pièces, on l’imagine davantage exposé dans un vaste entrepôt, une friche industrielle, que dans une villa cossue de la Côte d’Azur. Il semble que l’artiste partage ce point de vue et il a été quelque peu décontenancé quand Björn Dahlström, directeur du Nouveau Musée National de Monaco, l’a invité à présenter une rétrospective à la Villa Paloma, dans la Principauté. Les espaces de cette noble bâtisse, qui domine la cité depuis les hauteurs proches du Jardin exotique, sont en effet de nature domestique, présentant des volumes de chambres ou de salons, généreux certes, mais conçus pour un usage d’habitation. De cette contrainte, Pier Paolo Calzolari a fait une qualité, offrant un autre regard, certainement plus intime, sur la sélection des pièces présentées, couvrant l’ensemble de sa carrière, depuis la fin des années 1960 jusqu’à nos jours. L’artiste a d’ailleurs donné à cette exposition un titre plein de sens, « Casa ideale », soit « maison idéale ».
C’est en effet un parcours précis qui se déploie sur les trois niveaux du musée. Les œuvres témoignent de leur dimension poétique, avec certaines références à Ezra Pound. L’artiste évoque d’ailleurs l’écrivain parmi ses souvenirs d’enfance dans un entretien avec le critique Didier Semin diffusé dans l’exposition, quand il apercevait l’homme de lettres américain à la terrasse de cafés à Venise. Ce n’est évidemment que bien plus tard que l’artiste se plongera dans l’œuvre du poète. Ces années dans la lagune, au contact de son grand-père peintre, seront essentielles dans la formation de Pier Paolo Calzolari, son appréhension du monde par l’émotion, une volonté de se concentrer sur l’essentiel, sans artifice.
Ce qui est certainement l’une des grandes révélations de cette exposition monégasque, c’est aussi la persistance de problématiques de peinture pour celui qui ne montre pourtant pas d’huile sur toile – même si certaines œuvres peuvent s’apparenter à des tableaux. L’artiste italien est en effet un adepte de ce que Bruno Corà appelle « la famille des structures givrantes », c’est-à-dire des œuvres couvertes de givre par l’effet de dispositifs issus de l’électroménager. L’une des pièces maîtresses du parcours est ainsi Tolomeo, datant de 1989, grande table de cuivre reposant sur une structure en fer et en plomb, qui se couvre de givre tout au long de la journée grâce à un moteur de réfrigérateur. Pier Paolo Calzolari confie dans l’entretien précité que cette fine couche de glace participe d’une recherche d’un blanc absolu sur la surface. Cette couleur est aussi au centre de nombre d’autres œuvres de l’exposition, obtenues grâce à diverses techniques, tempera au lait sur toile (Natura morta B, 2005 ; Tiara con cera e chiodi, 2006) ou sel (Mothia Zb, 1987 ; Inrin [incessamment la pluie], 2023).
À côté de ces ensembles de pièces tendues, rigoureuses, le parcours réserve aussi une surprise avec une installation insolite. Au fond d’un petit couloir, le visiteur découvre un bruyant petit cochon rose en peluche tentant vainement de se faufiler derrière une porte de plomb. L’œuvre s’inspire de l’un de ces jouets mécaniques que l’artiste acheta un jour dans une boutique d’aire d’autoroute pour l’offrir à sa femme à son retour. Après l’avoir allumé et oublié au moment de se coucher, le couple retrouva le jouet animé bloqué dans une porte à son réveil au matin. Œuvre gag en un sens, elle dénote du regard que porte l’artiste sur les petits faits de la vie, sur une certaine forme d’absurdité aussi.
Pour accompagner cette exposition, le Nouveau Musée National de Monaco s’associe pour la première fois au Festival du Printemps des Arts de Monte-Carlo pour proposer des événements au croisement des arts plastiques et de la musique. Une carte blanche a été donnée à Lara Morciano, Samir Amarouch et Éric Montalbetti pour composer des musiques inspirées de l’exposition de Pier Paolo Calzolari à la Villa Paloma. Ce dimanche 24 mars et le 7 avril, Frédéric Audibert (violoncelle), Fanny Vicens (accordéon) et Véronique Fèvre (clarinette) proposeront ainsi des déambulations en musique dans l’exposition, sur des airs inspirés par l’arte povera. La poésie toujours.
--
« Pier Paolo Calzolari – Casa ideale », jusqu’au 7 avril 2024, Nouveau Musée National Monaco / Villa Paloma, 56, boulevard du Jardin Exotique, 98000 Monaco