Mira Schor : Margin of Safety
Optant pour la peinture au milieu des années 1970, Mira Schor a toujours revendiqué le plaisir procuré par ce médium, et lié celui-ci à son engagement politique et théorique. À travers un choix d’œuvres qui va de ses débuts à aujourd’hui, la présente exposition offre une parfaite entrée dans son monde.
On y voit une section de War Frieze (1991-1994), interminable suite de tableaux de 30 x 40 cm dans laquelle l’artiste activiste met en image avec une écriture manuelle des phrases empruntées aux déclarations politiques ou à des faits de l’actualité. Elle y parle de guerre, de patriarcat et de langage.
Sont exposées à proximité l’une de l’autre, Dress : Dark Fireworks (1975), une robe en papier couverte de gribouillages illisibles et de couleurs insérée entre deux plaques de verre, et Torn, une grande peinture sur toile libre de 2024. Torn dépeint l’artiste en une représentation simplifiée autour d’une robe blanche en réserve, sur un fond divisé en bleu et gris pâle. Au centre de la robe est tracée une longue incision orange vif qui parle d’elle-même. Cette autoreprésentation simplifiée, on la retrouve dans une série de Power Figures, dessins sur papier-calque dans lesquels l’artiste se met en scène, traversée par des phrases. « Are you a feminist artist ? », interroge-t-elle ou se laisse-t-elle interroger, avec peut-être un rien de lassitude.
Enfin, une série de tableaux de petits formats, réponses au « trumpisme », montrent pénis, cravate, flingues dans des situations pathétiquement burlesques. Et parmi eux, l’affirmation de la beauté et du pouvoir de la peinture : un miroir sur un brun flamand.
Du 14 mars au 18 mai 2024, Marcelle Alix, 4, rue Jouye-Rouve, 75020 Paris
Lauren Halsey : This show is about my Funk
Les œuvres qu’expose Lauren Halsey sont un hymne à South Central Los Angeles, à ses communautés, au Funk et à la Great Black Music en général, nourries d’énergie positive et de l’esprit de l’utopie. Les foil works (2011 - en cours) présentés au rez-de-chaussée sont de grands panneaux muraux composés d’une accumulation de photos découpées et d’objets. Ils sont des portraits de héros, d’amis, d’anonymes, de figurines diverses, compilations de textes de flyers, ou d’enseignes publicitaires, maquettes d’architecture ou de bouteilles d’alcool factices, mais aussi des panthères noires bondissantes. Il n’y a pas de retouche ou de prétention à transférer le « low » vers le « high », mais la volonté au contraire de montrer cette culture afro-urbaine dans toute sa richesse, sa diversité, ses excès et sa frime, son inventivité visuelle et langagière. Lauren Halsey témoigne de préoccupations actuelles en s’appuyant sur les thèmes et la bande sonore des années 1960 et 1970, n’hésitant pas à affubler James Brown d’une moumoute arc-en-ciel pour en élargir sa « prideness ».
Abondent les références à l’Afro-futurisme qui fait le lien entre l’Égypte ancienne et la science-fiction, d’Aretha Nefertiti à Sun Ra et surtout l’univers de Parliament-Funkadelic. Lauren Halsey a offert l’année dernière à ce mouvement d’idées la plus belle des plateformes de lancement. Sur le toit du Metropolitan Museum of Art de New York, elle a fait construire the eastside of south central los angeles hyeroglyph prototype architecture. En écho à cette architecture éphémère, elle expose à Paris une série de bas-reliefs sur gypse, les protruded engravings (2022-en cours) avec reprise des images et slogans vus dans les foil works. La pierre nous fait basculer dans une autre capsule temporelle, le temps du monument, mais d’un monument au vivant.
Du 21 mars au 25 mai 2024, Gagosian, 4, rue de Ponthieu, 75008 Paris
Amy Bravo : I’m Going There With You
Une adresse au public en forme de manifeste, fixée par une machette sur le plateau d’une table de salle à manger où traînent quelques bibelots. Un accessoire scénographique, au même titre que le sol couvert de treillage en noisetier, qui marque symboliquement le seuil du récit d’Amy Bravo.
Née aux États-Unis, queer, d’ascendance cubaine, celle-ci se saisit librement d’éléments mythiques et folkloriques liés à ses origines pour se dire, s’inventer, et reconstruire une histoire familiale.
Dans ses peintures sur grandes toiles libres dominent des figures androgynes, puissantes et sans regard. Divinités, super-héros, anges ou idéal du moi, elles sont tracées au crayon à la façon d’un relevé d’archéologue. Sur la toile, Amy Bravo, ajoute du gesso, de la dentelle et divers objets ou ornements. Par le cheminement de sa pensée, la façon de construire ses assemblages comme des poèmes, elle fait preuve d’une profonde originalité. Elegy for the mustache se réfère à celle d’un grand-père, rasé lors de sa toilette mortuaire. Autour d’une figure brave, glabre et souriante, quelques objets : un miroir où deux plumes dessinent une moustache, un coq, un rasoir jetable ayant appartenu à l’artiste… Histoire de transmission et d’identité et, peut-être, comme le signale Amélie Lavin dans son texte de présentation, dialogue avec Ana Mendieta.
Du 16 mars au 27 avril 2024, Semiose, 44, rue Quincampoix, 75004 Paris
Sarah Rapson : Mad in Pursuit
« Mad in Pursuit » présente une série de peintures sur toile ou lin de Sarah Rapson, dix blanches et deux noires dans des formats très divers, certaines longues et étroites comme des « I », beaucoup avec une concavité marquée comme si la toile était distendue. Dans la première pièce, un grand tableau vertical est appuyé contre un mur et repose sur deux cales en bois, comme si l’exposition était en cours d’accrochage ou de décrochage. La base d’un autre est accrochée bas, et chevauche le bord d’une plinthe. Tous ces tableaux reposent sur une matière textuelle, c’est-à-dire que le blanc (ou occasionnellement le noir), parfois enrichi de plâtre ou d’un enduit, est appliqué en couche épaisse sur du texte artistique rendu invisible. Sur les bords des toiles, on remarque quelques noms de galeries ou de sociétés pas entièrement recouverts.
Ce sont des fantômes de tableaux et nous nous prenons à comparer ces fantômes, à mesurer les intervalles entre eux, à jouer notre rôle de visiteur. Sur le carreau d’une fenêtre est scotchée une coupure de journal montrant une vue ancienne de la salle des Nymphéas [de Claude Monet au musée de l’Orangerie à Paris]. À la fin du parcours, on trouve, posée sur un radiateur, une feuille A4 : un bout à bout de phrases relatives aux musées, aux maisons de ventes, aux investissements dans l’art. Ce texte est celui caché sous le tableau Consortium. Allégorie de l’exposition ou exposition pour en finir avec les allégories ? Impossible de faire la part de l’ironie et celle de l’ultra-radicalisme. Ce serait folie que poursuivre. Contentons-nous de goûter l’expérience.
Du 15 mars au 20 avril 2024, Modern Art, 3, place de l’Alma, 75008 Paris