Nick Mauss : Close-fitting Night
Plan, projet ou trace, le dessin est sous-jacent à tout ce que réalise Nick Mauss. Dans cette « Close-fitting Night » (une nuit ajustée), le dessin s’offre dans différents états, différentes métamorphoses provoquées par la rencontre d’un médium ou d’une technique raffinée : traits incisifs sur la terre cuite, traits brûlants sur pan de satin (technique dite du « dévorage »), traits libres et amples tendant vers la peinture sur les compositions en carrés de miroir. Une figure de dos, à moitié esquissée se retrouve en plusieurs points du parcours, on la suit où elle nous accompagne, rare point de repère à peu près stable.
Misremembered rassemble six plaques émaillées noires dévorées d’incisions et de tracés blancs qui évoquent la craie. On devine des silhouettes sur les côtés, mais, au centre, l’image se brouille par accumulation de traits. Le croquis de l’artiste nous entraîne dans une nuit de caverne.
Les grandes compositions de miroir ont un effet structurant dans l’exposition et témoignent de la volonté de l’artiste de faire entrer le dessin dans l’espace. Ces derniers sont peints en inversé sur les carrés de verre avant que ceux-ci ne soient tournés en miroir par pulvérisation du sel d’argent. Un art très ancien, la peinture sous verre, est ainsi repensé pour aborder des questions touchant à l’exposition comme rituel ou performance. Corps ébauchés sur le verre, corps de l’artiste engagé dans l’acte de peindre, corps du spectateur invité à se mouvoir dans l’espace du dessin. Mauss travaille avec et contre la fascination.
Du 23 mars au 25 mai 2024, Galerie Chantal Crousel, 10 rue Charlot, 75003 Paris
Nancy Graves : Same Twice
Quand au début des années 1970 apparaissent les premières images de la terre prises par satellites, Nancy Graves (1939-1995) acquiert presque aussitôt la conviction que se trouvent là de nouveaux sujets pour la peinture. Elle entame alors une série de peintures, d’aquarelles à partir de ces images. Elle commence par une reproduction fidèle enrichie de traits de couleurs arbitrairement tracés, avant de procéder à des montages, des superpositions de trames, ou des jeux d’inversion. On devine une double exaltation devant la découverte de ces images qui ont bouleversé nos vies et devant cette opportunité de peindre avec la terre, les fleuves, les océans sans y engager de subjectivité superflue.
Same Twice, qui sert de titre à l’exposition, est un diptyque fait de deux panneaux inégaux. Le plus petit à droite est une représentation d’une image satellite avec différents types de taches et de hachurages pour distinguer les zones colorées. Le plus grand qui, par quelques détails suggère un agrandissement de la même image, est une composition à la Joan Mitchell à dominante grise. Sur cette abstraction énergique sont fixées deux bandes colorimétriques et une longue ligne de scotch en oblique. C’est une belle et conceptuelle façon de se situer entre land art et pattern painting.
Du 22 mars au 11 mai 2024, Ceysson & Bénétière, 23, rue du Renard, 75004 Paris
Christian Bonnefoi
Au milieu des années 1970, passer à la peinture a représenté pour Christian Bonnefoi le prolongement évident d’un travail critique et théorique. Matisse, plus qu’un autre, a été déterminant dans ce passage à l’acte et reste aujourd’hui encore l’artiste avec lequel il aime le mieux s’expliquer.
Un premier volet de l’exposition présente deux dessins de Matisse en regard d’une série de Fioretti de Bonnefoi, et non loin de grands panneaux qui, sous la forme de collages, citent les Dos et les papiers découpés du premier. Le théorique se teinte de biographique.
Ce que l’artiste trouve chez son illustre aîné, c’est l’idée d’unir le geste, le trait et la couleur dans une même entité. Cela se voit en particulier dans une série de tableaux verticaux des années 1990, arrangements de touches-signes tracées à l’aveugle, presque toujours striées de noir pour en faire ressortir les qualités graphiques. Ces tableaux-là sont très denses, compacts, comme une rage, une tempête, contenue à l’intérieur du plan pictural.
Un ensemble de tableaux récents, de format carré, sont peints dans des couleurs vives et les formes agencées d’une manière très dansante, avec de larges intervalles sur la toile transparente qui laissent voir le châssis blanc. Le rapprochement de ces deux époques expose quelques-uns des enjeux du travail et en particulier cette volonté de se projeter dans l’espace en restant fidèle au modèle structural et symbolique du tableau.
Du 22 mars au 27 avril 2024, Galerie Poggi, 135, rue Saint-Martin, 75004 Paris
Du 22 mars au 13 avril 2024, Villa Emerige, 7, rue Robert Turquan, 75016 Paris
Roman Moriceau : Silver and Gold
« Silver and Gold » ou l’art pour Roman Moriceau de se saisir des questions environnementales avec du sentiment et de l’humour. Au centre de la galerie, un passage est délimité par deux grandes tentures faites de coupons de mousseline assemblés. Au bout de ce passage, une bande de coupons de tissus à sequins animée par un mouvement de va-et-vient. Des projecteurs à l’arrière diffusent l’éclat de ces tissus de lumière. Accompagnant ce théâtre d’objets désolé, deux haut-parleurs font entendre une version instrumentale pour piano ralenti de Be My Baby, le tube des Ronettes.
De chaque côté de cette installation centrale, un accrochage de photographies d’animaux ou de plantes tirées d’ouvrages scientifiques sur des supports très variés : panneaux de bois, plaque de marbre, un trench-coat. Les supports sont visiblement tous du genre « encombrants » ou fripe, et ont été légèrement arrangés, et les photos montrent toutes des exemplaires d’espèces disparues. Les tirages ont été faits avec des sels d’argent récupérés dans des bacs. Un travail écoresponsable pour porter le deuil des espèces. De ces deux univers confrontés, le côté or et le côté argent, dira-t-on qu’ils dissonent ou qu’ils sont à l’unisson ? Romain Moriceau a fait le choix de ne pas choisir pour nous. Sur des bancs colorés fabriqués avec un mélange de chanvre et de latex, nous pouvons goûter à cette bizarre mélancolie.
Du 7 mars au 27 avril 2024, Galerie Derouillon, 13, rue de Turbigo, 75002 Paris