Les Petites Antilopes goudou et le Puma mâle de Rembrandt Bugatti, le Pélican d’Armand Petersen, la Panthère humant de Roger Godchaux, le Corbeau de François Pompon, le Lapin aux oreilles dressées dit Co-Co d’Eugénie Shonnard, le Guib de Charles Delhommeau... L’univers de Xavier Eeckhout et d’Aurélie Pagot, qui travaille à ses côtés depuis quatorze ans, est aussi poétique que ludique, aussi élégant que savant. Cette sculpture animalière du premier XXe siècle, en apparence facile d’accès, appartient à un domaine de niche où les connaisseurs savent la rareté des objets réalisés par guère plus d’une trentaine d’artistes et leur tendance à se raréfier dans les années à venir. Raison de plus pour en profiter.
Sur une brocante, à l’âge de 14 ans, Xavier Eeckhout achète des éperons anciens qu’il utilise pour monter les Quarter Horses qu’il scelle quotidiennement au club hippique de Borest, le village de l’Oise d’où sont originaires ses quatre grands-parents et où il grandit. Quelques jours plus tard, un cavalier plus aguerri lui conseille de prendre soin de ces objets sur lesquels Xavier décèle le monogramme « H ». Dans la foulée, le jeune homme effectue quelques recherches sur le Minitel familial et contacte une boutique Hermès, à Paris, qui l’oriente vers le musée du même nom, lequel se montre vivement intéressé. Il monte dans un train à Chantilly et réalise sa première vente au musée Hermès où les éperons sont toujours exposés. Aujourd’hui, il garde un souvenir aussi ému de sa rencontre avec la conservatrice qui l’avait reçu que de la colère de ses parents qui ne savaient rien de son escapade.
Après son baccalauréat, et une éphémère vocation dans l’immobilier qui lui permet de faire la connaissance de l’ancien placier des puces de Vanves, Xavier Eeckhout s’y installe une année. Il apprend en se trompant – « la meilleure des écoles » – et en suivant les cours de Drouot Formation. Tous les jeudis, il est crieur à Senlis où il rencontre Jérôme Guerrand-Hermès. De fil en aiguille, il boucle la boucle en dénichant pour lui et ses frères des objets de création sur le thème du cheval.
Une sélection
De 2003 – date de la première exposition dédiée à la sculpture animalière et à la vénerie qu’il organise avec son complice Nicolas Bruet dans leur galerie de la rue Saint-Lazare, dans le 9e arrondissement de Paris – à sa première participation à la Brafa, à Bruxelles, en janvier 2010, Xavier Eeckhout conserve une approche large de la sculpture animalière des XIXe et XXe siècles. Tout en bénéficiant des conseils bienveillants de l’antiquaire François Fabius, auquel il reconnaît devoir beaucoup, il aiguise son sens critique et son goût au fur et à mesure des années. Le regard sur la sculpture animalière du premier XXe siècle est alors sensiblement bouleversé par l’ouverture de nouvelles salles dans les musées ainsi que par plusieurs expositions : « Beauté animale » au Grand Palais, à Paris, et « 100 sculptures animalières. Bugatti, Pompon, Giacometti », au musée des Années 30, à Boulogne-Billancourt, toutes deux en 2012. Cette même année, pour sa première participation à la Biennale des Antiquaires, Xavier Eeckhout ne présente plus que des objets conçus après 1905.
« La niche que je défends aujourd’hui s’est imposée d’elle-même, explique Xavier Eeckout. Je ne suis plus revenu en arrière par exigence et par goût. Au XIXe siècle, les fontes étaient réalisées au sable à 99 %, au XXe, elles l’étaient à la cire perdue à 99 %. Il est nécessairement plus stimulant de découvrir des objets français, belges, italiens ou suisses dont il existe un exemplaire unique, comme c’est le cas du petit Hippopotame en marbre de François Pompon, voire deux, comme la Girafe de Rembrandt Bugatti que j’expose cette année à la Tefaf, où les collectionneurs se déplacent pour trouver des pièces exceptionnelles. Les salons aiguisent le désir de se surpasser d’une année à l’autre ! »
Dans le discours de Xavier Eeckout, la rencontre entre le collectionneur et l’objet revient sans cesse. Les notions de plaisir et d’amitié aussi. Il est convaincu que : « L’humain joue dans la relation que le marchand entretient avec son client, mais également l’idée d’avancer ensemble vers une collection dans laquelle les œuvres dialoguent au fur et à mesure des acquisitions, réalisées année après année, foire après foire. »
En 2018, Xavier Eeckhout a traversé la Seine pour les mêmes raisons, délaissant la rue de la Grange-Batelière, dans le 9e arrondissement, pour la rue Jacques-Callot, dans le 6e, où sa galerie est dessinée par le designer Charles Zana. « Tout est une question d’harmonie et de cadre, estime le galeriste. L’ambiance de Saint-Germain des-Prés est plus propice à mon domaine, en particulier pour ma clientèle américaine et pour les décorateurs qui prennent plaisir à venir prendre un verre en discutant autour d’objets. La proximité avec les marchands d’art africain – il n’y a pas un collectionneur d’art africain qui ne collectionne pas le XXe siècle – ou des personnalités comme Franck Prazan, spécialiste incontournable de l’École de Paris des années 1950, est presque naturelle et se marie à merveille avec mes objets des années 1930. »
Un enthousiasme
Qu’il reçoive une classe d’écoliers du quartier dans sa galerie ou qu’il converse avec un éminent conservateur au sujet du catalogue raisonné de l’œuvre de Roger Godchaux qu’il a publié avec le petit-fils de l’artiste 1*, Xavier Eeckout est habité par le même enthousiasme débordant, le même plaisir de partager et incontestablement de faire aimer. Aussi à son aise avec les serveurs de La Palette et du Mazarin, les deux bistrots de part et d’autre de la rue Jacques-Callot, qu’avec un grand collectionneur américain, Xavier Eeckhout ne joue pas un rôle d’emprunt. Fier de ses racines terriennes, qu’il retrouve tous les week-ends à Borest assis sur son tracteur, comme de ses bonnes manières, simples et vraies, qui lui viennent de ses grands-parents, il se distingue par un naturel jovial et un franc-parler qui tranchent avec l’ambiance feutrée de certaines galeries où aucun mot n’est prononcé plus haut que l’autre.
Xavier Eeckhout jouit pleinement de cette parenthèse enchantée, un jardin d’Éden dont il sait que les pommes seront de plus en plus rares. « Dans vingt ans, je manquerai d’objets, précise-t-il avec réalisme. Je manque déjà de matière, alors qu’Aurélie Pagot voudrait que nous nous attelions à un nouveau catalogue raisonné pour lequel nous disposerions de sources aussi riches que pour celles de Roger Godchaux. C’est tout le jeu de ce domaine de pointe, toute la tension que je retrouve chez la quinzaine de collectionneurs qui m’est la plus fidèle. À l’approche de la Tefaf, je les sens de plus en plus nerveux, et c’est très beau que ces objets suscitent de tels transports... Je suis bien placé pour le comprendre. »
Certains marchands, de nature plus inquiète, sont fébriles ou débordés quelques jours avant le grand départ pour Maastricht. Xavier Eeckhout aurait du mal à l’être. Le stand qu’il a commencé à dessiner en novembre 2023 et dont il a eu l’idée en septembre a été minutieusement préparé en amont. En quelques jours, il vendra un quart des objets de l’année, comme ce fut le cas lors de la dernière édition de FAB Paris, dont il vient d’intégrer le comité de programmation. « Les clients réguliers me rassurent, les futurs clients que je ne connais pas encore me stimulent », conclut-il, enthousiaste.
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1* Jean-François Dunand et Xavier Eeckhout, Roger Godchaux. Œuvre complet, Paris, Éditions Faton, 2021.
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Galerie Xavier Eeckhout, 8 bis, rue Jacques-Callot, 75006 Paris.