Faith Ringgold, l’une des principales artistes de sa génération, connue pour son engagement dans la lutte pour les droits civiques et le féminisme aux États-Unis, ainsi que pour ses livres pour enfants aux illustrations et à la narration fascinantes, est décédée le 13 avril 2024 chez elle, à Englewood, dans le New Jersey, à l’âge de 93 ans.
Faith Ringgold était célèbre pour ses peintures politiques du début des années 1960 – son American People Series #20 : Die (1967) est un jalon de l’art américain du XXe siècle – ainsi que pour la puissance obsédante et chargée d’histoire de ses récits textiles.
Née Faith Jones en 1930, à Harlem, quartier noir de New York, d’un père chauffeur de camion et d’une mère couturière et créatrice de mode, elle grandit dans le contexte de la Harlem Renaissance, dans le quartier de Sugar Hill. Des écrivains, des musiciens et des artistes tels que Langston Hughes, Duke Ellington, Thurgood Marshall et Billie Holiday vivaient à proximité et connaissaient sa famille.
Enfant asthmatique, elle reçoit, sur ordre du médecin, une éducation la plupart du temps à domicile jusqu’à l’âge de 8 ans. Ses parents l’encouragent à peindre dès son plus jeune âge. Elle a fréquenté le lycée George Washington avant d’étudier au City College de New York, où elle a obtenu un Bachelor [licence] en art et en éducation en 1955 et un Master en art en 1959. Pendant près de vingt ans, elle a enseigné dans le système scolaire public, à Harlem et dans le Bronx, tout en se consacrant à ses œuvres le soir.
La série « American People »
Faith Ringgold a élargi sa formation artistique en voyageant en Europe au début des années 1960 et 1970 et en Afrique à la fin des années 1970. La série American People est une étape importante dans sa carrière, vingt tableaux réalisés entre 1963 et 1967, à une époque où elle était très impliquée dans le mouvement des droits civiques. Ces œuvres, qui intègrent des motifs textiles africains, marquent une rupture avec les maîtres européens qu’elle avait étudiés dans le cadre de sa formation classique au City College.« J’ai été fascinée par la capacité de l’art à documenter l’époque, le lieu et l’identité culturelle de l’artiste, a-t-elle déclaré à The Art Newspaper en 2019. Comment pouvais-je, en tant qu’artiste afro-américaine, documenter ce qui se passait autour de moi ? »
Elle a inclus American People Series #20 : Die, dans sa première exposition personnelle à la Spectrum Gallery, à New York, en 1967. Ce tableau, qui fait clairement référence à Guernica (1937) de Pablo Picasso – que Faith Ringgold avait étudié alors qu’il faisait l’objet d’un prêt à long terme au Museum of Modern Art (MoMA) de 1939 à 1981 – a été acquis par le MoMA en 2016, près d’un demi-siècle après que Faith Ringgold eut participé à des manifestations contre l’exclusion des artistes noirs et féminins par cette institution et le Whitney Museum of American Art.
L’activiste publique
Faith Ringgold est une militante reconnue des causes noires et féministes dans les années 1960 et 1970. En 1971, elle cofonde Where We At, un groupe né d’une exposition du même nom organisée par quatorze femmes artistes noires à la galerie Acts of Art de Greenwich Village.
Parmi ses œuvres les plus connues figurent deux commandes publiques pour sa ville natale. En 1971, elle a réalisé For the Women’s House, une peinture murale destinée à l’établissement pour femmes de Rikers Island. Lorsque ce bâtiment est devenu un établissement pour hommes en 1988, la peinture a été réinstallée dans la nouvelle prison pour femmes, le Rose M. Singer Center, et devrait être prêtée à long terme au Brooklyn Museum.
Une paire de grandes mosaïques murales, Flying Home : Harlem Heroes and Heroines (Downtown and Uptown), créée en 1996 pour la station de métro 125th Station à Manhattan, montre des figures noires célèbres telles que Dinah Washington, Zora Neale Hurston, Sugar Ray Robinson et Josephine Baker. Le titre de l’œuvre provient d’une chanson de Lionel Hampton que Faith Ringgold connaissait lorsqu’elle était enfant.
Textiles et courtepointes
L’artiste a découvert les thangkas tibétains – des peintures sur rouleau du XVIIIe siècle réalisées sur du lin ou du coton – au début des années 1970, lors d’une visite au Rijksmuseum, à Amsterdam. « J’ai utilisé certaines de leurs formes pour créer mon propre style tibétain », a-t-elle déclaré à The Art Newspaper en 2019. À la même époque, elle commence à travailler sur des sculptures molles et des masques. Elle était inspirée par l’art africain depuis le début des années 1960, mais ce n’est que lorsqu’elle a voyagé au Nigeria et au Ghana dans les dernières années 1970 qu’elle a été témoin de « la riche tradition des masques », restée « sa plus grande influence ».
Son travail en courtepointe, utilisant la technique du quilting, a suivi celui sur les thangkas. En collaboration avec sa mère, qui lui a appris à coudre ses peintures sur une toile non tendue, elle a réalisé sa première du genre, Echoes of Harlem, en 1980, puis Who’s Afraid of Aunt Jemima ? en 1983. Ces œuvres et les séries qui ont suivi font référence aux traditions des Africains réduits en esclavage, profondément enracinées dans l’histoire de la famille de Faith Ringgold. « Ma mère était créatrice de mode. Elle confectionnait tous nos vêtements, puis s’est lancée elle-même dans les affaires lorsque nous avons grandi. Elle a appris à coudre auprès de sa grand-mère, qui avait elle-même été formée par sa mère – elles étaient nées esclaves et avaient été courtepointières toute leur vie », a-t-elle déclaré.
Lors d’une exposition personnelle au New Museum de New York en 1998, Faith Ringgold a présenté deux séries remarquables de ses peintures en courtepointe : The French Collection et The American Collection. Ces œuvres figuraient également dans la rétrospective que lui a consacré la même institution en 2022.
« The French Collection utilise le personnage de Willia Marie Simone pour recentrer l’histoire de la peinture moderne, a écrit Charles Moore dans sa critique de l’exposition pour The Art Newspaper. Elle visite le Louvre, rencontre Van Gogh à Arles, travaille avec Matisse et Picasso et finit par devenir elle-même une artiste à succès. The American Collection, quant à elle, imagine les peintures de Marlena, la fille adulte de Willia Marie, elle-même artiste, mais aux États-Unis, et en s’intéressant à l’histoire culturelle afro-américaine, y compris, entre autres, l’esclavage. »
La conteuse
Faith Ringgold est l’auteure de plus d’une douzaine d’histoires pour enfants, à commencer par le célèbre conte Tar Bridge (1992), inspiré de sa propre œuvre en courtepointe Woman on a Bridge#1 of 5 : Tar Beach (1988), qui fait partie de la collection du musée Solomon R. Guggenheim de New York. L’œuvre raconte l’histoire de Cassie Louise Lightfoot et de sa famille à Harlem.
Faith Ringgold, qui utilisait le nom de famille de son second mari, Burdette Ringgold, depuis leur mariage en 1962, a eu deux filles avec son premier mari Robert Earl Wallace : Barbara Wallace, linguiste, et Michelle Wallace, critique culturelle et auteure de Black Macho and the Myth of the Superwoman (1979).
Faith Ringgold est restée dans l’enseignement pendant près d’un demi-siècle après avoir commencé à officier dans les écoles new-yorkaises. Elle a donné des cours au Pratt Institute de la ville et a été, à la fin de sa carrière, professeure émérite d’art à l’université de Californie à San Diego. Ses œuvres font partie des collections d’institutions telles que l’Art Institute of Chicago, le Boston Museum of Fine Art, le Metropolitan Museum of Art de New York, le Whitney Museum of American Art de New York et le Victoria and Albert Museum de Londres.
À partir de 1995, elle a été représentée par l’American Contemporary Art Gallery (ACA Gallery). Parmi ses autres expositions personnelles notables figurent celles du Studio Museum, Harlem, à New York (1983) ; du Fine Arts Museum of Long Island (1990), qui a fait l’objet d’une tournée nationale dans onze autres musées ; du Neuberger Museum of Art, au Purchase Collège, dans l’État de New York (2010) ; et des Serpentine Galleries, à Londres (2019). Le New Museum à New York lui a consacré une rétrospective en 2022, dont une version, conçue par Cécile Debray, a été présentée en 2023 au musée national Picasso-Paris, la première exposition à réunir un ensemble d’œuvres majeures de l’artiste en France.